La Rochelle

  • Géographie et Histoire
  • A. Bouchot
  • Encyclopédie moderne

Rochelle (La). Parmi les villes de France qui méritent une histoire particulière figure, et au premier rang, celle de la Rochelle.

Elle ne consista d’abord qu’en un château-fort, désigné sous le nom de Vauclair, et qui avait pour objet de protéger le pays environnant contre les redoutables incursions des Normands. Mais il arriva bientôt que la petite ville de Châtet-Aillon fut ruinée par ces mêmes pirates, et que les habitants vinrent chercher un abri sous les murailles du château de Vauclair. Les maisons s’y multiplièrent tellement qu’une ville nouvelle en naquit. Ce fut la Rochelle. Ce nom lui vint d’une forteresse que les fugitifs avaient construite sur un rocher (rocca) pour suppléera l’insuffisance de Vauclair.

L’heureuse situation delà ville naissante, la sûreté de son port, le voisinage de l’île de Ré, ne tardèrent pas à lui donner une grande importance. Aussi, les puissants ducs de Poitiers, devenus alors ducs d’Aquitaine, ne purent-ils se résoudre à la laisser entre les mains des comtes de Mauléon et de Rochefort ; ils saisirent le premier prétexte pour la leur enlever, et dès qu’ils s’en virent maîtres ils l’entourèrent de murailles, pour bien marquer le prix qu’ils attachaient à leur conquête.

La mort de Guillaume IX rétablit un moment l’autorité des comtes de Mauléon et de Rochefort (1138), malgré tous les efforts que fit le roi Louis VII pour soutenir les prétentions d’Éléonore d’Aquitaine, son épouse. Mais Éléonore, répudiée, devint bientôt après reine d’Angleterre (1154), et l’un de ses premiers soins fut d’acheter la Rochelle. Maîtresse de toute la France méridionale, elle considérait celte ville comme un des plus fermes boulevarts de sa domination ; et, pour s’en mieux assurer la possession, elle ne lui refusa aucun des privilèges qu’elle pouvait souhaiter. Ainsi commença la liberté de cette célèbre ville, plutôt alliée et vassale que sujette de la couronne d’Angleterre.

Cette heureuse indépendance produisit ses fruits accoutumés : la tranquillité, la prospérité, le bonheur. Aussi la Rochelle était-elle déjà une des plus importantes places du midi lorsque le roi Louis VIII entreprit de chasser d’Aquitaine « le dragon blanc des Plantagenets (1223) ». Elle ne put cependant lui résister longtemps, et elle se soumit, ainsi que Limoges, Périgueux, et toutes les cités voisines, à la condition expresse que tous ses privilèges seraient maintenus. Louis VIII s’y engagea, en y ajoutant la promesse de ne jamais aliéner sa conquête.

Depuis lors les Rochelois se livrèrent paisiblement à l’industrie et au commerce, sous la puissante protection de la France ; et quand naquit la fameuse querelle de Philippe VI et d’Édouard III, ils s’empressèrent de prendre parti pour les Valois. Mais en vain réussirent-ils à repousser toutes les attaques des Anglais après la triste journée de Crécy (1346), le roi Jean essuya une défaite plus honteuse encore à Poitiers, et la Rochelle fut au nombre des villes qu’il livra à Édouard III en échange de sa liberté (1360).

Ce ne fût pas sans douleur que les Rochelois se virent ainsi transportés de la souveraineté de la France à celle de l’Angleterre. Aussi le roi Édouard III eut-il beau leur accorder de nouvelles libertés ; ni ses faveurs ni ses menaces ne leur firent oublier la patrie, et ils n’attendaient que l’occasion de se soulever lorsque le comte de Pembroke se présenta devant leurs murs avec une flotte de quarante vaisseaux (1372).

C’étaient de nouveaux renforts et un nouveau gouverneur que le roi d’Angleterre envoyait à l’Aquitaine ; mais les flottes combinées de la France et de la Castille s’opposèrent à leur débarquement, et elles l’emportèrent, grâce surtout à l’inaction des Rochelois, qui refusèrent obstinément de mettre au service de Pembroke aucun des nombreux vaisseaux que renfermait leur port. Jamais plus grand désastre n’avait atteint jusque alors la fortune d’Édouard III ; il contribua puissamment au salut de la France.

Restait cependant une garnison de cent Anglais qui occupaient le château fort, et qui pouvaient punir cette défection, lorsque le maire de la Rochelle invita leur chef à dîner, C’était Philippe Mansel, brave gentilhomme, mais qui ne savait même pas lire, et qui d’ailleurs ne soupçonnait rien. Tandis que les convives s’entretenaient gaiement, on apporta une lettre du roi d’Angleterre, dont le maire montra le sceau à Mansel, et qu’il se mit à lire tout haut, en substituant tout ce qui lui convenait aux termes mêmes d’Édouard III. En conséquence de ces ordres supposés, le commandant et le maire décidèrent qu’une revue générale des soldats et des bourgeois aurait lieu dès le lendemain, 25 août 1372. Mansel eut à peine amené sa troupe sur la place publique que quelques citoyens apostés occupèrent en armes les portes du château. Que faire alors ? Il fallut bien se rendre et se sauver en laissant la citadelle. C’est ainsi que la Rochelle recouvra sa liberté. Toutefois, les Rochelois, s’ils aimaient la France, n’aimaient pas moins leur indépendance, lis n’ouvrirent donc leur ville à du Guesclin qu’à la condition de n’y entrer qu’avec deux cents hommes, de détruire le château fort, et de leur accorder la consécration solennelle de tous leurs privilèges.

La Rochelle avait donc joué un rôle aussi important que glorieux durant les terribles querelles des Valois et des Plantagenets. Mais ce fut surtout à l’époque des guerres religieuses qu’elle influa grandement sur les destinées de la France. Puissante par sa marine, par ses richesses, par le nombre de ses habitants, par ses relations, elle fut l’une des premières à adopter les idées nouvelles, et elle le fit avec tant d’ardeur que dès l’année 1568 elle se donna pour maire un huguenot, F. Pontard de Treuilcharais.

Aussi bien ce n’était pas seulement le fanatisme qui entraînait la Rochelle dans cette voie ; c’étaient aussi des intérêts politiques. De même que la plupart des gentilshommes provinciaux et des villes de l’ouest ou du sud qui avaient embrassé cette cause, la Rochelle voyait dans ces luttes religieuses une nouvelle forme de la résistance que l’esprit de localité opposait depuis si longtemps à la centralisation de la France sous la royauté, le vieil antagonisme du nord et du sud.

Le premier soin du nouveau maire fut de convertir à ses doctriues tous ceux de ses concitoyens qui hésitaient encore, et de livrer ensuite sa ville au prince de Condé, chef nominal des huguenots (1568). Depuis ce jour la Rochelle ne fut plus une ville française, mais l’arsenal, mais le foyer, mais la capitale du protestantisme. Les relations continuelles qu’elle entretenait avec l’Angleterre d’Élisabeth et avec les Hollandais de Guillaume le Taciturne lui permettaient d’aspirer à cette haute position.

Elle s’en montra digne aussi par l’énergie qu’elle déploya bientôt après contre les efforts de Charles IX. En vain le cruel gouverneur de la Guyenne, le maréchal de Montluc vint-il l’assiéger avec des forces considérables ; elle le repoussa honteusement, et Condé, Coligni, Jeanne d’Albret, Henri de Navarre, que menaçaient à la fois Catherine de Médicis et Philippe II, ne se crurent à l’abri de leurs embûches que derrière les murailles de cette puissante ville.

Ni la défaite de Jarnac (1569), ni celle de Moncontour, ni la mort de Condé, qui faillit pourtant amener la dissolution du parti huguenot, ne purent triompher du saint enthousiasme des Rochelois. Car ils ne cessaient cependant d’épouvanter les mers voisines, de harceler les vaisseaux espagnols, de débarquer de nouveaux auxiliaires ; et lorsque Charles IX se résigna à signer la paix de Saint-Germain (1570), la Rochelle fut au nombre des villes de sûreté qu’il accorda aux réformés.

Il est vrai qu’en souscrivant à de si honteuses concessions, Catherine ne faisait que mieux dissimuler ses desseins. Elle ne songeait plus qu’à assassiner ceux qu’elle n’avait pu vaincre ; mais l’horrible massacre de la Saint-Barthélemy, sous lequel elle se flattait d’accabler tous ses ennemis, ne servit après tout qu’à aggraver les dangers de la situation. En vain avait-elle ordonné de ne laisser la vie à aucun protestant ; il en restait encore deux millions qui juraient de ne jamais déposer les armes. Quant à la ville de la Rochelle, elle ne voulut plus obéir à un roi assassin, et elle s’érigea en république indépendante, avec l’alliance des protestants français, des Anglais et des Pays-Bas.

Chose étonnante ! ce fut alors Charles IX qui fit lui-même tout ce qu’il put pour apaiser l’irritation des Rochelois ; car la fureur sanguinaire où la Saint-Barthélemy l’avait jeté était déjà calmée. Mais les Rochelois repoussèrent les caresses du roi de France, et, gouvernés par le brave Lanoüe, ils ne songèrent qu’à se bien mettre en état de repousser aussi ses attaques.

Le succès justifia ces orgueilleux refus, quoique le vainqueur de Jarnac et de Montcontour eût alors sous ses ordres une armée de vingt mille hommes. Excités par leurs ministres, secondés par leurs femmes, les Rochelois repoussèrent en effet vingt-neuf assauts, pendant que Montgommery dominait sur les mers voisines, et que les protestants reprenaient partout les armes. Il fallut bien céder, et la Rochelle, Montauban et Nîmes, dictèrent à Charles IX les conditions de leur obéissance (6 juillet 1573).

Même triomphe l’année suivante, quand Catherine entreprit de se faire livrer la Rochelle par trahison. Cette conjuration fut déjouée, et une ligue formidable s’organisa aussitôt, non-seulement entre tous les protestants, mais entre les protestants et le nouveau parti des politiques.

Le gouvernement d’Henri III n’était guère propre à rétablir l’ascendant de la royauté. La Rochelle conserva donc toutes ses libertés, au milieu même des plus grands désordres et malgré la défaite qu’essuya sa flotte en 1577. Survint ensuite rédit de Nantes, que Henri IV promulgua en 1598, et qui mit fin aux guerres religieuses, tandis que le traité de Vervins, en arrachant la France à l’influence espagnole, ouvrait l’ère de sa puissance extérieure.

De là l’heureuse stérilité des années qui suivirent, et durant lesquelles la Rochelle, sans cesser pour cela d’être la capitale de la réforme, ne parut occupée que de commerce, de marine et d’industrie. Malheureusement le successeur d’Henri IV n’était pas assez éclairé pour laisser à ses peuples même la liberté de conscience que celui-ci leur avait solennellement garantie, et, égaré par les funestes conseils de Luynes, il rouvrit la sanglante carrière des guerres religieuses.