Anthropophagie

  • Encyclopédie de famille

Anthropophagie, mot tiré du grec qui exprime l’action de manger de la chair humaine, et qui s’applique surtout à l’homme qui mange son semblable. Quelques voyageurs, Dampier, Atkins, ont douté de l’existence de peuples anthropophages, et soutenu n’en avoir pas vu d’exemples ; cependant le plus grand nombre parmi les plus dignes de confiance attestent des faits tellement circonstanciés d’anthropophagie que cette affreuse coutume est aujourd’hui une vérité constante. La Nouvelle-Zélande et d’autres îles de la Polynésie en offrent des témoignages récents et journaliers. Les insulaires de la Sonde et quelques autres de l’océan Indien, au milieu même des traces de la civilisation, se portent à cette barbarie, non par le besoin de subsistance, mais par ressentiment, orgueil ou vengeance. Les chefs mangent des individus de races inférieures.

La nécessité de vivre sur un vaisseau affamé, comme dans l’horrible naufrage de la Méduse, a pu contraindre les passagers à s’entre-manger. Dans les guerres, lorsque des soldats faméliques ne trouvent rien pour subsister que les corps des ennemis tués, ou même ceux de leur propre nation, dans les déserts de la Tartarie ou parmi les vastes solitudes américaines, le même fait a pu se produire. Pline, Strabon, Porphyre, accusent les anciens Scythes d’anthropophagie. Hérodote, Arrien, l’affirment de plusieurs peuples de l’Inde. Tite-Live prétend qu’Annibal voulait accoutumer ses troupes à se contenter au besoin des cadavres de leurs ennemis en Italie. Les sièges de l’antique Jérusalem, de Paris, de Sancerre, etc., ont pu forcer des parents à dévorer leurs enfants, comme on l’a dit des Esquimaux, des Gaspésiens et d’autres habitants des régions polaires durant leurs affreux hivers. Le vieux sauvage qui craint de tomber dans les mains de ses ennemis dit à son fils : « Mange-moi plutôt que de m’abandonner à nos ennemis ; et du moins que mon corps serve à te nourrir : tes entrailles seront mon tombeau. » Les annales du crime ont conservé le souvenir de quelques repas de chair humaine mangée par surprise. On trouve aussi des criminels entraînés par des frénésies détestables à des actes forcenés d’anthropophagie. Des peuples ont été accusés de ce crime : plus de cent Bohémiens furent exécutés en Autriche en 1783, comme coupables de ces abominables repas. Les temps de révolution, en surexcitant les passions, ont offert des atrocités qui rapprochent des populations civilisées des cannibales. Mais ce sont là des faits exceptionnels.

Malheureusement on trouve des preuves de l’existence de l’anthropophagie chez une foule de nations sauvages placées au sein de l’abondance, soit dans l’Afrique, soit dans les deux Indes, sous des climats également fertiles, et la gourmandise ne paraît pas toujours étrangère à cette horrible coutume. Ainsi les Battas de Sumatra disaient à Marsden que la plante des pieds et la paume des mains, grillées, étaient un manger délicat, parce qu’il y a beaucoup de parties tendineuses, comme dans les pieds des jeunes chameaux. Galien rapporte qu’au temps de l’empereur Commode, des Romains, raffinés dans le luxe de la gourmandise, allèrent jusqu’à goûter delà chair humaine. Vedius Pollion faisait engraisser les murènes de ses viviers de la chair des esclaves qu’il condamnait à périr. C’était se rendre anthropophage par voie indirecte. Les cannibales ont témoigné que la chair humaine a une saveur supérieure à celle des animaux. Les Caraïbes préfèrent celle du blanc à celle du nègre.

La principale cause de l’anthropophagie est cependant la vengeance. Des peuplades abandonnées à toute leur indépendance et à leurs passions, sans lois, sur une terre inculte ou qui n’offre qu’une rare subsistance, ont des mœurs cruelles. Ils tuent leurs prisonniers et les mangent, à titre de réciprocité. Cela a lieu chez différentes peuplades sauvages indiennes ou africaines. Bien des voyageurs et des historiens nous font connaître les tourments que se plaît à multiplier un barbare vainqueur en immolant son prisonnier, et nous ont conservé ces hymnes de mort entonnés par les cannibales, dans leurs festins, où ils se repaissent de lambeaux vivants, sans faire fléchir le courage de leur victime.

À l’anthropophagie se rattache l’usage des sacrifices humains. Les premiers dieux sont représentés comme des ogres, qui ne peuvent être apaisés que par le sang. Des auteurs prétendent que toutes les nations ont été soit anthropophages dans l’origine, soit adonnées aux sacrifices humains. Moloch chez les Carthaginois, Teutatès parmi les nations germaniques, la Diane taurique étaient honorés par l’effusion du sang. On croyait ces dieux anthropophages, et on leur servait, pour les rendre propices, ce grand festin d’honneur.

L’anthropophagie existe encore dans les îles Fidji ou Vitti, à la Terre de Feu, aux îles Andaman, à Bornéo, à la Nouvelle-Calédonie, à Bonny et chez une foule de peuples de l’Afrique. Les Chunchos, peuplade d’indiens au Brésil et au Pérou, dans les Andes, ne mangent pas, dït-on, les femmes, parce qu’ils les regardent comme des êtres, impurs, créés pour le tourment de l’homme et dont la chair est venimeuse au plus haut degré. C’est peut-être à un semblable préjugé que Mme Ida Pfeiffer a dû la vie. Elle était tombée dans les mains d’une troupe de Battas de Sumatra, qui dévorent vivants leurs prisonniers de guerre et les étrangers, en les assaisonnant de sel et de tabac ; mais elle réussit, à ce qu’elle raconte, à leur persuader que sa chair n’était pas bonne à manger. Les Fidjiens assaisonnent la chair humaine avec différents légumes, notamment avec une espèce de tomate, nommée borodina.