Alimentation

  • Hygiène
  • A. Le Pileur
  • Encyclopédie moderne

Alimentation. Nous ne pouvons nous étendre ici sur les différentes espèces d’aliments qui composent la nourriture de l’homme ; nous donnons seulement quelques préceptes sur l’alimentation qui convient aux différents âges et aux différents climats.

La nourriture qui convient le mieux à l’enfant qui vient de naître est le lait de sa nourrice. Les heures de ses repas doivent être rapprochées, surtout pendant les premiers mois, cependant il n’est jamais nécessaire de lui donner le sein plus de huit fois en vingt-quatre heures ; s’il paraît le demander dans les intervalles, on peut lui donner de l’eau sucrée et plus tard un peu d’eau d’orge ou de gruau. Il faut se garder de la funeste habitude qu’ont les nourrices et la plupart des mères de gorger l’enfant de lait : des affections graves de l’estomac sont presque toujours la suite de cette pratique aveugle. Toutes choses égales d’ailleurs, un enfant élevé à la campagne consomme sans inconvénient plus de nourriture qu’un enfant nourri dans une grande ville. Vers neuf mois en général il convient de sevrer l’enfant qui, dès le troisième mois, a pu sans inconvénients s’habituer peu à peu à de légers potages d’abord maigres, puis gras. Dès que l’enfant est sevré, il faut, si rien dans sa santé ne prescrit un régime spécial, l’habituer peu à peu à manger toutes sortes d’aliments ; nous exceptons bien entendu ceux dont l’usage est peu hygiénique même pour l’adulte. Dès l’âge d’un an quatre à cinq repas suffisent, et tous ne doivent pas être également forts. La nuit un peu de gruau très léger ou d’eau sucrée apaise la soif de l’enfant qui, sauf les cas exceptionnels et très rares, n’a pas besoin alors d’aliments. Vers deux ans, un enfant doit pouvoir manger indistinctement de tous les mets qui sont servis sur la table de ses parents ; en lui donnant cette habitude on évite de le rendre difficile et on prévient aussi la gourmandise, résultat fréquent du refus de ce qui le tente. Les substances qui conviennent le mieux à l’enfance sont avant tout la soupe, la viande en général, soumise à la préparation la plus simple, c’est-à-dire bouillie ou rôtie ; le gibier ne doit être donné qu’exceptionnellement soit comme régal, soit comme tonique. Les légumes de digestion facile, ou rendus tels par leur préparation, sont d’un grand secours en variant la nourriture, pour maintenir l’équilibre des fonctions digestives ; quelques-uns, comme l’oseille, la chicorée en salade, ont de plus des propriétés spéciales qui en rendent l’usage excellent.

En été surtout, les légumes verts et la salade, donnés avec la modération convenable conviennent à merveille aux enfants qui, pendant leurs premières années, dans nos climats, éprouvent toujours au renouvellement des deux saisons principales, l’été et l’hiver, quelque chose d’analogue à l’acclimatement d’un adulte qui change de latitude. A mesure que les organes se développent et se fortifient, le régime, sans cesser d’être réglé, peut devenir moins rigoureux et l’on redoute moins pour l’adolescence que pour l’enfance, les aliments de digestion difficile ou doués de propriétés excitantes ; mais, si l’usage exceptionnel peut en être toléré, l’usage habituel doit en être interdit.

Les quatre repas sont de rigueur jusque vers dix-huit ou vingt ans, et nous pensons qu’en divisant ainsi l’alimentation, on répond mieux aux besoins fréquents de l’économie, en même temps qu’on ménage plus les organes digestifs. C’est surtout lorsque le corps prend un développement rapide, que la viande est un aliment nécessaire ; l’enfant, l’adolescent, qui n’en ont qu’une ration insuffisante, y suppléent par une quantité de pain considérable ; on observe communément ce fait dans les collèges, et là aussi on voit fréquemment, à la suite de cette alimentation presque exclusivement panaire, survenir des affections graves de l’estomac ou de l’intestin. Plus tard, cette alimentation n’est plus nuisible ; toutefois rien ne peut remplacer avantageusement la viande comme nourriture, surtout lorsqu’on exige du corps des efforts musculaires.

Quand les organes ont pris tout leur développement, les repas doivent être réglés suivant le besoin, et l’on ne peut à cet égard classer ensemble l’ouvrier dont les muscles agissent pendant douze heures et l’homme de bureau qui passe sa journée assis. C’est surtout à ce dernier que l’on doit recommander la sobriété et le choix des aliments. L’homme de peine, le manœuvre, sous l’influence d’une action musculaire énorme, peuvent digérer les aliments les plus grossiers, l’homme sédentaire, quand il ne serait pas en général plus faible et plus délicat, doit s’interdire ce qui est d’une digestion difficile et surtout les substances, les mets excitants. Tous les repas du charpentier, du maçon, doivent être solides, sa santé, son travail ; loin d’en souffrir, y gagneront : toutefois il agit sagement en réservant pour son souper les aliments les plus nourrissants. Ces aliments pris au milieu de sa journée ont l’inconvénient de rendre l’ouvrier plus lourd et moins habile pendant la digestion ; le soir, au contraire, ils réparent les pertes que le corps a faites et leur assimilation s’achève tranquillement pendant un bon sommeil.

Quant à l’homme sédentaire, s’il veut travailler après son repas, qu’il soit très sobre, encore fera-t-il mieux de laisser entre le repas et le travail un intervalle proportionné aux difficultés de la digestion. C’est aussi pour le soir qu’il devra généralement réserver le principal repas, surtout s’il consacre au repos sa soirée. Deux repas lui suffiront en général.

Ce qui précède concerne seulement les climats tempérés, et même dès le 43e degré de latitude, l’instinct des peuples et la nature du sol leur ont fait modifier leur alimentation. Plus on s’avance vers le tropique, moins la nourriture a besoin d’être solide. Un Toscan, un Napolitain seraient bien en peine s’il leur fallait manger à leur repas la quantité de viande qui n’a rien que d’ordinaire pour un ouvrier anglais.

Entre les tropiques et sous l’équateur, le régime est encore plus simple, quelques fruits et surtout des aliments féculents en font la base ; le manioc est la principale nourriture du nègre, le riz et l’eau lactée constituent celle de l’Hindou.

C’est toujours au péril de sa vie, ou tout au moins de sa santé, que l’homme des climats septentrionaux transporté sous des latitudes plus chaudes persiste à conserver son régime et ses habitudes. La première chose à faire est au contraire de suivre immédiatement l’exemple du peuple au milieu duquel on vit, en ménageant toutefois la transition et en suivant la marche de l’acclimatement.

Certains aliments doivent, soit à leur préparation soit à la nature des substances qui les composent, des qualités nuisibles, surtout quand on en fait un usage prolongé. Les viandes salées ou fumées sont d’un usage plus fréquent dans les pays septentrionaux que dans les nôtres ; elles ont sur la constitution des populations dont elles forment la principale nourriture un effet souvent funeste. C est en grande partie au poisson salé et presque toujours en décomposition putride dont ils se nourrissent, que les Norwégiens doivent la lèpre, qui est endémique sur leurs côtes.

La viande de porc, dont les diverses préparations constituent ce qu’on nomme la charcuterie, ne figure sur la table des riches que comme moyen d’exciter le goût et de varier la nourriture. Son usage, ainsi borné, ne peut être qu’utile, surtout quand, parmi ces préparations, on choisit les plus simples et les moins épicées ; mais lorsqu’on en fait un usage journalier et que, comme le pauvre, on ne peut les avoir qu’à bas prix et d’une qualité inférieure, elles deviennent un aliment détestable et sont une des causes les plus actives des maladies de la peau. Parmi les préparations culinaires, il en est qui doivent au vin, et surtout aux épices qu’on y mêle, des propriétés excitantes. L’homme robuste et en santé ne doit en faire qu’un usage exceptionnel. Les condiments de haut goût ont sur les voies digestives, sur le foie, sur l’appareil urinaire, une action puissante et qui peut devenir promptement funeste. Dans les climats extrêmes, l’usage des épices semble moins nuisible à l’économie que dans les zones tempérées. L’Anglais, le Russe, comme l’habitant des Antilles et de l’Inde, emploient impunément des assaisonnements que le palais et l’estomac d’un Français ne sauraient supporter.

Aux approches de la vieillesse et lorsqu’il est entré dans cette dernière période de sa vie, l’homme doit ménager les forces de son estomac et se rappeler qu’il a moins besoin à cet âge d’une nourriture abondante. L’habitude de manger beaucoup, les préparations d’une cuisine trop recherchée sont alors funestes et amènent promptement des infirmités, que l’homme sobre et vivant d’aliments simples évite en général.

Nous n’avons encore rien dit des boissons, et quelques mots sur ce sujet nous suffiront. Dès que l’enfant est sevré, sa boisson sera de l’eau d’abord pure et bientôt après légèrement rougie d’un peu de vin. C’est surtout dans les villes et chez les enfants lymphatiques que l’usage du vin est bon ; la dose en doit être augmentée un peu avec l’âge, mais à moins d’indications particulières, le vin pur n’est jamais nécessaire et serait même nuisible aux enfants.

Ces préceptes sont applicables à l’adolescence, jusqu’à l’âge où commence le travail musculaire ; alors un peu plus de vin ajoute singulièrement aux propriétés toniques de la nourriture et augmente notablement les forces.

C’est par cette raison que les enfants ou les individus au début de l’adolescence, qui sont employés à des travaux dans lesquels ils dépensent beaucoup de force musculaire, les mousses, les manœuvres dans certaines usines, éprouvent de bons effets d’une ration de vin qui serait trop considérable pour des écoliers.

L’adulte doit savoir se borner au nécessaire pour le vin plus que pour toute autre chose. Sa profession, sa constitution déterminent la quantité qui lui convient. Dans la vieillesse, le vin est d’un secours précieux pour soutenir les forces et réveiller l’organisme. On connaît cet axiome de l’antiquité : le vin est le lait des vieillards. Dans les pays où le vin manque il est remplacé par la bière, boisson essentiellement hygiénique par elle-même, mais dont l’usage abusif a des effets tout aussi déplorables que ceux du vin. On a dit avec vraisemblance que la bière est pour beaucoup dans la lourdeur de corps et d’esprit des peuples du Nord.

Une boisson bien inférieure à cette dernière, c’est le cidre, dont l’usage est répandu dans quelques-uns de nos départements de l’ouest. On ne peut nier toutefois que la race normande n’ait été et ne soit encore une des plus belles de notre pays, et si elle perd chaque jour, si elle s’abâtardit, surtout dans les villes, ce n’est pas au cidre qu’elle le doit, c’est à l’eau-de-vie.

Tel est le résultat déplorable qu’on voit suivre partout l’abus de cetle boisson funeste, et partout où l’usage en existe, l’abus en est inséparable. Mieux supportée sous les latitudes arctiques et surtout dans les pays humides que dans les autres climats, là aussi pourtant elle entraîne inévitablement à sa suite l’abrutissement et tous les désordres moraux et physiques. Il faut un peu plus de genièvre pour tuer un Anglais, un Hollandais, un Lapon que pour tuer un Français, un Espagnol ou un Hindou ; mais le genièvre les tue tous quoiqu’à dose variable. Le Russe peut absorber impunément des quantités énormes d’alcooliques ; les soldats russes, dans nos hôpitaux, buvaient par jour et par homme 120 grammes d’eau-de-vie et une bouteille de bière ; mais ce triste avantage n’appartient qu’aux Russes, et l’on peut dire que l’eau-de-vie est pour eux un poison moins violent : voilà tout.

Les alcooliques remplacent imparfaitement le vin ; toutefois ils sont précieux pour les approvisionnements maritimes, pour les expéditions où le bagage doit être restreint. Leur usage est encore excellent comme correctif des eaux malsaines que le voyageur ou le soldat sont souvent obligés de boire. Mais c’est en quelque sorte comme médicament, non comme boisson normale, qu’il faut les employer, et l’on doit en user comme de l’opium, cette substance qui leur ressemble tant dans ses effets, ressource admirable en thérapeutique, poison redoutable quand on en abuse.

Les pays lointains nous ont donné des boissons, parmi lesquelles figure en première ligne le café, puissant excitant du système nerveux, digne de tous tes éloges qu’en ont faits les poètes et dont la thérapeutique peut tirer un grand secours, mais que ses propriétés rendent un agent dangereux, malgré le mot spirituel de Fontenelle. Le thé, inférieur au café à beaucoup d’égards, est une boisson excellente, un tonique précieux dans les pays malsains et dans toutes les conditions, qui peuvent amener l’abattement moral et physique.