Alexandrie

  • Encyclopédie de famille

Alexandrie, (appelée par les Turcs et les Arabes Iskandérieh ou Skandérieh), fondée l’an 331 avant J.-C. par Alexandre le Grand, était située à l’origine dans les terrains plats et bas qui séparent le lac Maréotis de la Méditerranée, à environ un myriamètre de Canope. En avant, dans la Méditerranée, on trouvait l’île de Pharos, à l’extrémité nord-ouest de laquelle s’élevait une tour célèbre qu’on éclairait la nuit pour guider les navigateurs, et qu’une jetée, appelée Heptastadium, unissait à la terre ferme en formant les deux grands ports de la ville. Il y avait en outre dans le lac Maréotis un port aux eaux stagnantes et marécageuses ; à l’embouchure du canal du Nil, le port appelé Kibotor ; et deux ports de moindre étendue à l’angle nord-ouest du grand port situé à l’est de la jetée. Alexandrie, dont le plan avait été dressé par l’architecte Dinocrate, occupait autour de ces deux grands ports un emplacement s’étendant du nord-est au sud-ouest. Deux grandes rues, ornées dans toute leur longueur de colonnades, la traversaient d’une extrémité à l’autre et se coupaient à angle droit. La ville était régulièrement construite. La partie la plus brillante était le quartier appelé Bruchium, voisin du port de l’est. Là se trouvaient les palais des Ptolémées, avec le Musée et la Bibliothèque, le Soma ou Sema, les tombeaux d’Alexandre le Grand et des Ptolémées, le Posidonium, le Timocrium et le grand théâtre. Plus loin, à l’ouest, on rencontrait l’Emporium ; sur la petite pointe de terre qui, avec l’Heptastadium, son prolongement artificiel, séparait les deux grands ports, le Serapeum, avec sa riche bibliothèque et le Gymnase. À l’ouest de la ville était située la grande Nécropole avec ses tombeaux, et à l’est la Lice et la Nicopole. Des citernes pratiquées dans le roc calcaire, et contenant l’eau nécessaire à la consommation des habitants pendant une année entière, occupaient presque toute la superficie souterraine de la ville. Dès sa fondation Alexandrie fut la capitale grecque de l’Égypte. Sa population, évaluée à l’époque de sa plus grande prospérité à 300,000 habitants libres, se composait surtout de colons grecs, d’Égyptiens proprement dits, et de Juifs, qui étaient venus de bonne heurte s’y fixer.

Après la mort d’Alexandre le Grand, Alexandrie échut aux Ptolémées, qui y établirent leur résidence et en firent une des plus magnifiques villes de l’antiquité, centre de l’érudition et de la civilisation grecque de ce temps-là, d’où elles se propagèrent ensuite dans une grande partie de l’Asie et de l’Afrique. L’heureuse situation de cette ville, au point de partage entre l’Occident et l’Orient, en fit le centre du commerce du monde. Elle était arrivée an faite de sa prospérité quand elle tomba au pouvoir des Romains, l’an 29 avant J.-C. C’est de Cette époque que date si décadence. À la suite de la translation à Rome des chefs-d’œuvre de l’art qui la décoraient, des massacres commis par Caracalla, de la dévastation du Bruckium par Aurélien, du siège et du pillage par Dioclétien, et enfin de l’accroissement de Constantinople, Alexandrie déchut tellement qu’au quatrième siècle de notre ère le temple de Sérapis était le seul monument de quelque importance qui y subsistât encore. La lutte entre le christianisme et le paganisme provoqua dans Alexandrie les désordres les plus sanglants. La prise d’assaut du Serapeum, dernier refuge de la théologie et de l’érudition païenne, en l’an 389, par les chrétiens, et sa transformation en une église chrétienne, sous l’invocation de Saint-Arcadius, portèrent le dernier coup au paganisme agonisant. Alexandrie devint alors le chef-lieu de la théologie chrétienne, et conserva ce caractère jusqu’à ce qu’elle eût été conquise par les Arabes, en l’an 642. La prise de la ville par les Turcs, en l’année 868, acheva de l’anéantir. Elle se releva plus tard, sous la domination des khalifes, et resta pendant toute la durée du moyen âge le grand entrepôt des produits de l’Orient et de l’Occident ; mais la découverte de l’Amérique et de la route des Grandes-Indes par le cap de Bonne-Espérance anéantit complètement son commerce. Enfin la domination des Mameloucks, et ensuite la conquête qu’en firent les Osmanlis, achevèrent de détruire même ce qui était l’œuvre des Arabes. Alexandrie en arriva à ne plus compter en 1778 que 5,000 habitants. La conquête de l’Égypte par les Français, à la fin du dix-huitième siècle, commença à la faire sortir de ses ruines ; et sous la domination de Méhémet-Ali, qui y passait une partie de l’année, elle se releva tellement qu’elle est aujourd’hui l’une des places les plus importantes de la Méditerranée. On y comptait 30,000 âmes en 1798, 230,000 âmes en 1817, 400,000 en 1859. Ce sont des Arabes, des Turcs, des Juifs, des Coptes, des Grecs et des Francs. En 1840 Alexandrie échangeait avec tous les pays une valeur de 60 millions de marchandises, en 1854 cette valeur s’élevait à 135,262,000 francs. Le percement direct de l’isthme de Suez, dont le canal aboutira à Péluse, pourra arrêter le développement d’Alexandrie, mais cette ville gardera toujours ses relations avec le Caire et le Nil.

La ville actuelle n’occupe pas le même emplacement que l’ancienne. Elle s’élève sur l’Heptastadium, transformé par des alluvions en une large langue de terre, entre les deux grands ports qui existent toujours. Mais celui qui est situé au nord-est, et qu’on appelle aussi le Port-Neuf, est ensablé. Le canal de Ramaqieh, terminé en 1820, et un chemin de fer mettent le Caire en communication avec Alexandrie, qui du côté de la mer est protégée par divers ouvrages de fortification. Comme la plupart des villes de l’Orient, Alexandrie est aussi sale que misérablement bâtie. Ses édifices les plus remarquables, tels que le nouveau palais, la douane, l’arsenal de la marine, sont tous l’œuvre de Méhémet-Ali. La bourse a été terminée en 1858. En 1861, une inondation du Nil fit beaucoup de mal à Alexandrie, qui a été frappée du choléra en 1865.

De tous les monuments antiques qu’Alexandrie renfermait autrefois, elle ne possède plus que la colonne de Pompée, formée de quatre morceaux de granit rose de Syène, d’un poli remarquable, empruntés sans doute au Serapeum, redressée par ordre d’un gouverneur de Dioclétien, et surmontée alors de la statue d’un empereur qui depuis longtemps en a été arrachée ; ce que l’on appelle les Aiguilles de Cléopâtre, deux obélisques, dont l’un est à moitié en ruines, mais dont l’autre, monolithe de vingt mètres de hauteur, est encore debout ; enfin, plusieurs tombeaux de l’antique nécropole, et les citernes, en ruines pour la plupart. On a découvert près de Ramleh, au lieu qu’on appelle le Camp de César, les restes d’un palais roumain qui avait été offert à l’empereur Marc-Aurèle Antonin par les tribuns des légions. M. d’Arnaud-Bey, ingénieur français au service du vice-roi d’Égypte, a reconnu que la colonne de Pompée est placée en équilibre sur le chapiteau retourné d’un ancien temple où M. Mariette a lu le nom de Sœtis II, père du grand Sésostris. Ce monument est maintenant entouré d’une grille.

La Bibliothèque d’Alexandrie, fondée principalement par les libéralités des Ptolémées, contenait, dit-on, dans 400,000 volumes ou rouleaux, toute la littérature romaine, grecque, indienne et égyptienne. La plus grande partie de ces volumes était placée dans le Bruchium, et fut brûlée lors du siège de cette ville par Jules César ; cette perte fut remplacée par la bibliothèque de Pergame, dont Antoine fit présent à Cléopâtre. Le reste se trouvait dans le Serapeum, ou temple de Jupiter Sérapis, et se conserva jusqu’à l’époque de Théodose le Grand. Mais quand ce prince fit détruire tous les temples païens de l’empire, le magnifique temple de Jupiter ne fut pas plus épargné que les autres ; un rassemblement de chrétiens, conduits par l’archevéque Théophile, l’assaillit et le ruina. La bibliothèque fut en partie brûlée et en partie dispersée, et Orose l’historien n’en vit plus que les rayons vides. Ce ne serait donc pas, comme on le croit généralement, les Arabes commandés par Omar qui firent éprouver aux sciences l’irréparable perte de cette bibliothèque. On a cru découvrir les ruines de la bibliothèque d’Alexandrie en 1854.

Les Ptolémées avaient fait d’Alexandrie le rendez-vous de tous les esprits éclairés de leur temps. Les grammairiens, les savants, les philosophes furent attirés vers cette ville célèbre, où Ptolémée Philadelphe fonda le Musée, qu’on regarde à juste titre comme la première Académie du monde, et établit cette fameuse bibliothèque que l’histoire a toujours considérée comme la plus précieuse de l’antiquité. Ce concours de lumières et de protection royale était fait pour qu’Alexandrie devint avec le temps ce qu’Athènes avait été déjà à l’époque de Périclès. De là le nom d’école d’Alexandrie donné à l’ensemble des systèmes philosophiques qui suivirent le péripatétisme et le platonisme, dernières lueurs du paganisme mourant, et dont le foyer principal était la ville d’Alexandre. Cette école, remarquable par ses origines, par le génie de ses penseurs, par la richesse et la profondeur de ses doctrines, par sa longue durée, par son rôle historique, par son influence sur les doctrines du moyen âge et de la Renaissance, mérite une place à part dans l’histoire de la philosophie. Elle commence vers la fin du troisième siècle de l’ère chrétienne, et ne finit que vers 539, avec l’antiquité elle-même. Pendant cette longue période elle change dans le cours de son développement de situation, de rôle, de théâtre ; elle garde invariablement ses principes et son esprit, tout en subissant l’influence des hommes et des circonstances. Essentiellement rationnelle avec Ammonins Saccas, Plotin et Porphyre, elle dégénère en pratiques théurgiques avec Jamblique, Chrysanthe, Maxime et Julien ; puis elle reprend une forme plus sévère à Athènes avec Svrianus, Proclus et Damascius. D’abord éclectique, puis mystique, elle lutta contre le christianisme, qui finit par l’emporter.