Abbaye

  • Histoire et architecture
  • Alfred Maury
  • Encyclopédie moderne

Abbaye, — Abbé, — Abbesse. Le mot Abbaye, en latin Abbatia, sert à désigner un monastère dont les religieux ou les religieuses sont gouvernés par un abbé ou par une abbesse ; il se prend aussi pour le bénéfice ou les revenus dont jouit l’abbé ou l’abbesse ; enfin il s’applique encore à l’ensemble des bâtiments destinés au logement et au service des religieux dirigés par l’abbé et de l’abbé lui-même.

Originairement les abbés étaient élus par les moines, et les abbesses par les nonnes ; généralement leur nomination recevait ensuite la confirmation du pape ou au moins celle de l’archevêque métropolitain. Mais les monarques et les princes souverains, par suite des donations qu’ils firent aux abbayes, s’arrogèrent cette nomination, en retour de leur libéralité ; puis ils se la réservèrent dans les abbayes dont ils furent les fondateurs. Dès lors, on commença à distinguer les abbayes en règle des abbayes en commende. Les premières, comme celles de Cluny, de Cîteaux, de Prémontré, de Sainte-Claire en France, de Fulde en Allemagne, de Saint-Gall en Suisse, demeurèrent électives ; elles ne relevaient que du souverain pontife, et leur chef acquit, par là, un haut degré de puissance, qui s’éleva même parfois jusqu’à la souveraineté temporelle. Les secondes, placées plus directement sous l’autorité civile et laïque, ne furent guère que des bénéfices conférés par la faveur, des dignités sans charge et sans devoirs religieux réels. Les abbés pourvus de ces abbayes prirent le nom de commendataires, par opposition aux autres abbés, qui s’appelaient réguliers. Les abbés commendataires n’étaient donc que des clercs séculiers pourvus par le pape d’une abbaye, avec permission d’en percevoir les fruits durant leur vie.

Ce mot de commende vient du latin commendare, qui signifie donner en garde. En effet, quand un bénéfice était vacant ou par l’absence ou par la mort d’un titulaire, on en confiait l’administration à un économe jusqu’à ce qu’il fût pourvu d’un pasteur. Cet économe était ou laïque, ou évêque, ou simple ecclésiastique. Dès le huitième siècle, on commença à donner les évêchés et les abbayes en commende perpétuelle. Voilà ce qui explique pourquoi on vit des seigneurs laïques prendre le titre d’abbés de certaines abbayes ; les rois de France Philippe Ier, Louis VII, et ensuite les ducs d’Orléans, s’intitulaient abbés du monastère de Saint-Aignan d’Orléans ; les ducs d’Aquitaine, abbés de Saint-Hilaire de Poitiers ; les comtes d’Anjou, abbés de Saint-Aubin ; les comtes de Vermandois, abbés de Saint-Quentin.

Les prieurés n’étaient dans l’origine que de simples fermes dépendant des abbayes. L’abbé y envoyait un certain nombre de religieux, pour les faire valoir ; ces religieux n’avaient que l’administration et rendaient leurs comptes tous les ans à l’abbé ; ces fermes s’appelaient alors obédiences ou prieurés, parce que celui des religieux qui avait le gouvernement des autres, portail le nom de Prévôt ou de Prieur. Au commencement du treizième siècle, les religieux envoyés dans les fermes dépendant des abbayes, commencèrent à s’y établir et à y demeurer leur vie durant. Ils s’accoutumèrent de la sorte à se regarder comme usufruitiers des biens dont leurs prédécesseurs n’avaient eu que l’administration momentanée ; et cet abus se répandit si bien, qu’au commencement du quatorzième siècle, les prieurés étaient regardés et réglés comme de véritables bénéfices. Il faut, au reste, bien distinguer les prieurés indépendants qui prirent ainsi naissance et que l’on qualifia de conventuels, du prieuré qui n’était qu’une charge placée sous l’autorité de l’abbé et que l’on nommait prieuré claustral. Ces prieurs qui gouvernaient les religieux sous les abbés soit réguliers, soit commendataires, n’étaient réellement que des sous-supérieurs.

Il existait aussi des prieurés-cures qui étaient également devenus des bénéfices, de simples administrations qu’ils avaient été auparavant. De ces prieurés, les uns étaient d’anciennes paroisses qui étaient tombées dans les mains des religieux ; les autres avaient commencé par être des chapelles particulières de la ferme origine du prieuré ; ces chapelles, fréquentées par les gens qui habitaient dans le voisinage du monastère, s’étaient peu à peu élevées au rang de paroisses, et les prieurs en avaient pris le titre de curés.

En France, la plupart des grandes abbayes étaient de fondation royale ; telles étaient celles de Saint-Denis, de Saint-Germain des Prés, de Corbie, de Chelles. Un assez grand nombre furent sécularisées, et devinrent des chapitres ou des collégiales ; de ce nombre furent celles de Vézelay, d’Aurillac, de Saint-Victor, de Saint-Sernin de Toulouse. D’autres furent érigées en évêchés, comme celles de la Rochelle, Luçon, Aleth, Vabres, Castries, Tulle, Condom et Pamiers.

En France, les abbayes de filles étaient toutes électives, et quoique dans le siècle dernier les abbesses fussent presque toutes nommées par le roi, néanmoins les bulles qu’elles obtenaient de Rome, portaient toujours qu’elles avaient été élues par leur communauté. Cette différence entre les abbayes d’hommes et celles de filles venait de ce que ces dernières n’avaient point été comprises dans le concordat entre le pape Léon X et François Ier.

On comptait en France, à la fin du siècle dernier, deux cent vingt-cinq abbayes d’hommes en commende, et quinze abbayes chefs d’ordre ou de congrégation, dont une de filles, celle de Fontevrault ; cent quinze abbayes régulières d’hommes et deux cent cinquante-trois abbayes régulières de filles, sans y comprendre les abbayes et chapitres nobles de filles, ainsi que les abbayes réunies à des collèges, à des hôpitaux et à d’autres pieux établissements.

L’abbaye, considérée comme bâtiment religieux, ne se distingue par aucun caractère tranché, d’un monastère quelconque, et son église d’une paroisse, ou même d’une cathédrale. Toutefois on juge facilement par l’étendue et par le nombre des parties distinctes qui composent la totalité de l’édifice, si le monastère était un simple couvent ou une abbaye, ces dernières ayant généralement une étendue assez considérable. En effet, les abbayes ne renfermaient guère moins de vingt religieux, et le nombre de ceux-ci s’élevait souvent jusqu’à près de cent, comme à Clairvaux et à Cîteaux, en France, à Glocester et à Bury-Saint-Edmond, en Angleterre. À Fontevrault, il y avait cent soixante religieuses et soixante religieux. Du temps de Pierre le Vénérable, l’abbaye de Cluny comptait quatre cent soixante religieux. En général, les abbayes de filles étaient en France plus peuplées que les abbayes d’hommes. Outre les religieux ou religieuses, ces édifices devaient contenir de nombreux domestiques et les personnes qui leur étaient attachées à différents titres.

Les plus grandes abbayes comme celles de Westminster, de Bury-Saint-Edmond, de Tewkesbury, de Glastonbury, en Angleterre, de Saint-Germain des Prés, de Cluny, de Clairvaux, en France ; de Fulde, de Corvey, en Allemagne ; du Mont-Cassin, de Subiaco, Grottaferrata, en Italie, se composaient ordinairement de deux grandes cours quadrangulaires, le long desquelles régnaient des corps de bâtiment. Tous tes bâtiments, tels que fermes, greniers, granges, moulins, écuries, étaient entourés d’une haute muraille qui formait ce que l’on nommait le clos ou enclos, clausum, et souvent cet ensemble de bâtiments offrait l’aspect d’une ville fortifiée. Autour de la cour quadrangulaire principale ou cloître, se trouvaient l’église et ses dépendances, la salle capitulaire, le réfectoire, l’aumônerie, l’infirmerie, la bibliothèque et les parloirs. Dans les abbayes d’une certaine importance, le logement de l’abbé constituait à lui seul un édifice important et même un palais, qui communiquait directement avec l’église et le chapitre. Il s’y trouvait un oratoire ou chapelle particulière, où, durant le carême, l’abbé passait le temps qui s’écoulait entre la première messe et le moment du dîner ; mais cet usage des premiers temps avait disparu dans les siècles derniers.

La maison du portier constituait aussi, fréquemment, un bâtiment important et dont l’architecture n’était pas sans élégance ; c’est ce qu’on observe surtout dans les restes des abbayes anglaises, à Saint-Alban, à Saint-Augustin de Cantorbéry où cette partie du monastère est flanquée de tours octogones, à Evesham, où elle est décorée d’un beau campanile. Mais l’architecture des abbayes était trop variée, les plans de ces édifices étaient trop différents, pour qu’on puisse leur assigner une disposition spéciale.

Richard et Guiraud, Bibliothèque sacrée, 2e édition Paris, 1827. Articles Abbayes, Prieuré.

Moront, Dizionario di erudizione ecclesiastica, Rome, 1840. Article Abbadia.

Neudecker, Handwaerterbuch der Kirchengeschichte. Article Abtri.

Thomassin, Traité de la diszcipline ecclésiastique, 1725. In-fol., tom. 3.

J. Britton, A Dictionary of the architecture and archaelogy of the middle ages. Article Abbey, Londres, 1818, in-4°.