Âne

  • Encyclopédie de famille

Âne, mammifère du genre cheval. Sa voix a un son très rauque, ce qui tient à deux petites cavités particulières situées au fond du larynx de l’animal. Son cri s’appelle braire. L’âne se trouve encore à l’état sauvage dans les steppes de la Tartarie. Là sa grandeur est celle d’un cheval de moyenne taille ; ses oreilles sont moins longues que celles de nos ânes domestiques ; ses jambes plus hautes et plus fines ; son pelage est gris et quelquefois d’un jaune brunâtre. Ces animaux vivent par troupes innombrables ; ils courent avec une rapidité qui défie celle des meilleurs chevaux persans. Les Kalmouks leur font la chasse. L’âne domestique a les formes plus lourdes. Originaire des pays chauds, il dégénère dans les contrées du nord. La France possède deux races d’ânes : celle du Poitou a le poil laineux et long, celle de Gascogne a le poil ras et une robe brune ou bai-brun. Quoique chétifs en général dans les pays septentrionaux, ces animaux n’en rendent pas moins d’immenses services, et ils portent des fardeaux considérables. Leur sobriété est très grande ; leur patience est extrême, mais leur entêtement est devenu proverbial. Le pied de l’âne, plus sûr que celui du cheval, le rend précieux dans certaines localités. Sa vue, son ouïe, son odorat sont aussi plus développés que chez le cheval. La peau de l’âne est recherchée pour sa dureté et son élasticité. On en fait des tambours, des cribles et des cuirs connus sous le nom de peau de chagrin.

On trouve en Orient deux variétés d’ânes : l’âne de Chypre et l’âne de Bagdad ou d’Égypte. Les ânes cypriotes sont quelquefois aussi hauts qu’un cheval, ont beaucoup de force et se font remarquer par la longueur de leur sabot : ils sont généralement bruns ; les meilleurs sont les noirs. L’âne de Bagdad et d’Égypte, beaucoup moins grand, est précieux par la rapidité de son amble : sa couleur est presque blanche.

Si la chèvre est la vache de la pauvre femme, l’âne est la monture du pauvre homme, et il ne fait jamais de dommage. Cependant on ne cesse de le frapper, en alléguant que cette bête est la bêle du bon Dieu, et qu’elle n’a été créée et mise au monde que pour travailler et pour souffrir. Dégrader de sa noblesse originelle une race entière d’animaux, l’accabler de coups et de misère et lui reprocher les vices que nous lui avons donnés en la tenant dans une servitude avilissante, c’est là sans doute une chose odieuse. Voyez, vous dit-on, combien ces bêtes sont abjectes, indociles, exténuées, rogneuses. J’en conviens ; mais qui est-ce qui les a faites ainsi, si ce n’est vous-mêmes ? Sortez du lieu où vous les tenez en esclavage ; allez dans leur patrie originelle, examinez l’âne du désert livré à l’état naturel, ou retenu dans les liens d’une domesticité honorable et soigneuse ; voyez sa taille élevée, sa tête haute, son poil doux et luisant, ses yeux pleins de feu, ses allures vives et pourtant assurées, son attitude fière et non dépourvue d’une certaine grâce, voilà l’âne de la nature. Osez actuellement lui comparer, votre baudet, tel que votre avarice et votre dureté nous l’ont fait. Personne ne dédaigne les ânes en Orient. N’est-ce pas sur une ânesse que le Christ fit son entrée triomphale à Jérusalem ? Quoiqu’il ait les jambes infiniment plus courtes que les dromadaires, l’âne trotte aussi vite qu’eux. Dans les îles de Malte et de Sardaigne, où l’on a conservé et élevé avec soin des races pures, l’âne est souvent le rival heureux du cheval. On connaît de réputation les ânes d’Arcadie ; les poètes n’ont pas cru déplacées les fleurs qu’ils ont jetées sur eux. Dans l’île de Maduré, où la transmigration des âmes est reçue comme dogme, on rend à l’âne une sorte de culte. La croyance religieuse de ces insulaires est que les âmes des héros morts au service e leur patrie vont animer le corps de ces quadrupèdes.

Ce qui, dans la préoccupation de nos esprits, porte un véritable préjudice à l’âne, c’est que nous sommes toujours portés à le comparer au cheval. Il en diffère par une tête plus grosse, des yeux plus écartés l’un de l’autre, des lèvres plus épaisses, une queue plus plate, moins longue, plus dépouillée ; par des oreilles plus longues, et par une voix qui passe un peu trop subitement d’une octave à l’autre. Ce n’est que par ces accessoires et non par aucune disposition intérieure et organique que l’âne diffère du cheval. L’âne porte un sang pur, et sa noblesse est aussi ancienne que celle des coursiers les plus fameux. Les Égyptiens lui en voulaient beaucoup, parce qu’ils accusaient les Juifs de l’adorer.

Donnez à l’âne la même éducation et les mêmes soins qu’au cheval, et j’ose assurer qu’il le surpassera de beaucoup, parce qu’il apporte en naissant de plus hautes dispositions. Le jeune ânon est plein d’esprit, de gaieté, de gentillesse, et même de grâce. Avec l’âge il perd sa gaieté, il devient méditatif ; mais ce qu’il perd en gentillesse il le gagne en profondeur. Quant aux affections domestiques et aux vertus morales, nul n’en est doué plus libéralement. On a vu des ânesses mourir de chagrin parce qu’on leur avait enlevé leur ânon. D’autres affrontent les incendies, et vont se réunir dans l’étable à leur enfant qui périt dans les flammes. Comme il a l’oreille fine et le flair excellent, l’âne retrouve et reconnaît son maître au milieu d’une foire ou dans une ville habitée par une population nombreuse. Il le flaire, il le sent, et court à lui quoiqu’il l’ait souvent excédé de coups. Si l’âne est rétif, c’est qu’on le blesse dans les habitudes qu’on lui a données étant jeune, et qu’il ne comprend pas le caprice qui porte son maître à. s’en écarter ; s’il se couche sur le ventre quand on le charge trop, c’est qu’il n’a que ce moyen de vous faire comprendre que vous l’accablez. Quelques-uns se montrent parfois vindicatifs et ont mordu cruellement des maîtres qui abusaient de leurs prétendus droits. Cette pauvre bête, qui dans l’état sauvage ou dans l’état d’une domesticité tolérable vit au delà de trente ans, en vit à peine chez nous douze à quinze ; et à cet âge on traite le mâle de vieux grison et la femelle de vieille bourrique ; les coups et les mépris ne leur manquent pas à tous deux. C’est ainsi qu’un peuple civilisé traite ses vieux serviteurs. Et pourtant, comme l’a dit l’abbé Delille dans une galante périphrase :

Quelquefois, consolé par une chance heureuse,
Il sert de Bucéphale à la beauté peureuse.

L’âne vit presque de rien, et il sert tout le jour. Le paysan qui a sa vache et son âne se trouve ainsi placé entre sa nourrice et sa monture. Il porte l’engrais de son étable et la litière qu’il à fécondée sur le champ du pauvre homme ; il en rapporte les récoltes diverses dans ses granges ; il va et vient sans cesse, porte le grain au moulin, les fruits au marché, le bois à la maison, ainsi que les glanées durant la moisson, les paquets de foin durant la fenaison, le chaume des jachères, les joncs des marais et les mauvaises herbes qui croissent le long des chemins. Soit que vous lui mettiez la selle, le bât, les crochets, les hottes, les paniers, les échelles, il ne se refuse à rien, si ce n’est au mors, contre lequel il a une grande répugnance. Lorsqu’il est en route, il ne vous demande d’autre grâce que celle de le laisser brouter chemin faisant quelques sommités de chardons, quelques boutures de saule, quelques bourgeons d’orme ou de peuplier, ou bien de boire une gorgée dans l’eau trouble qu’il fait jaillir sous ses pieds ; et si vous lui permettez de se rouler un instant sur le gazon, vous aurez contribué au premier de ses plaisirs, à la plus suave des voluptés qui lui soit permise dans ce bas monde. Voilà comme il passe son temps à la campagne. Mais à la ville d’autres devoirs l’appellent. Toute l’année vous voyez de grand matin le pavé de Paris couvert d’ânesses, pharmaciennes agrégées, qui vont frapper à la porte de tous les malades. Elles permettent à la chèvre de se mêler avec elles, et il est aujourd’hui bien établi que les docteurs de la Faculté, tout fourrés qu’ils sont d’hermine, ont moins de succès que ces nouveaux officiers de santé, revêtus de peau d’âne ou de chèvre.

Le lait d’ânesse n’est en réputation en France que depuis François Ier. Ce monarque se trouvait très faible, très incommodé ; les médecins n’avaient pu le rétablir. On parla au roi d’un juif de Constantinople qui avait la réputation d’être très habile médecin. François Ier ordonna à son ambassadeur en Turquie de le faire venir à Paris, quoi qu’il dût lui en coûter. Le docteur israëlite arriva, et n’ordonna pour tout remède que du lait d’ânesse. Ce remède doux réussit très bien, et les courtisans des deux sexes s’empressèrent de suivre ce régime. Un malade guéri par l’usage de cette nourriture crut devoir exprimer sa reconnaissance par le quatrain suivant :

Par sa bonté, par sa substance,
D’une ânesse le lait m’a rendu la santé,
Et je dois plus, en cette circonstance,
Aux ânes qu’à la Faculté.