Âne

  • Dictionnaire infernal

Âne. Les Égyptiens traçaient son image sur les gâteaux qu’ils offraient à Typhon, dieu du mal. Les Romains regardaient la rencontre de l’âne comme un mauvais présage. Mais cet animal était honoré dans l’Arabie.

Certains peuples trouvaient quelque chose de mystérieux dans cette innocente bête, et on pratiquait autrefois une divination dans laquelle on employait une tête d’âne. (Voyez : Képhalonomancie). Ce n’est pas ici le lieu de parler de la fête de l’Âne. Mais relevons une croyance populaire qui fait de la croix noire qu’il porte sur le dos une distinction accordée à l’espèce, à cause de l’ânesse de Bethphagé. C’est un fait assez singulier.

Chez les indiens du Maduré, une des premières castes, celle des cavaravadouks, prétend descendre d’un âne ; ceux de cette caste traitent les ânes en frères, prennent leur défense, poursuivent en justice, et font condamner à l’amende quiconque les charge trop ou les bat et les outrage sans raison. Dans les temps de pluie, ils donneront le couvert à un âne avant de le donner à son conducteur, s’il n’est pas de certaine condition[1].

Voici une vieille fable sur l’âne : Jupiter venait de prendre possession de l’empire ; les hommes, à son avènement, lui demandèrent un printemps éternel, ce qu’il leur accorda ; il chargea l’âne de Silène de porter sur la terre ce présent. L’âne eut soif, et s’approcha d’une fontaine ; le serpent qui la gardait, pour lui permettre d’y boire, lui demanda le trésor dont il était porteur, et le pauvre animal troqua le don du ciel contre un peu d’eau. C’est depuis ce temps, dit-on, que les vieux serpents changent de peau et rajeunissent perpétuellement.

Mais il y a des ânes plus adroits que celui-là : à une demi-lieue du Kaire se trouvait, dans une grande bourgade, un bateleur qui avait un âne si instruit que les manants le prenaient pour un démon déguisé. Son maître le faisait danser ; ensuite il lui disait que le soudan voulait construire un bel édifice, et qu’il avait résolu d’employer tous les ânes du Kaire à porter la chaux, le mortier et la pierre. Aussitôt l’âne se laissait tomber, roidissait les jambes, et fermait les yeux comme s’il eût été mort. Le bateleur se plaignait de la mort de son âne, et priait qu’on lui donnât un peu d’argent pour en acheter un autre.

Après avoir recueilli quelque monnaie : Ah ! disait-il, il n’est pas mort, mais il a fait semblant de l’être, parce qu’il sait que je n’ai pas le moyen de le nourrir. — Lève-toi, ajoutait-il. — L’âne n’en faisait rien. Ce que voyant, le maître annonçait que le soudan avait fait crier à son de trompe que le peuple eût à se trouver le lendemain hors de la ville du Kaire pour y voir de grandes magnificences. — Il veut, poursuivait-il, que les plus nobles dames soient montées sur des ânes…

L’âne se levait à ces mots, dressant la tête et les oreilles en signe de joie. — Il est vrai, reprenait le bateleur, que le gouverneur de mon quartier m’a prié de lui prêter le mien pour sa femme, qui est une vieille roupilleuse édentée.

L’âne baissait aussitôt les oreilles, et commençait à clocher comme s’il eût été boiteux[2].

Ces ânes merveilleux, disent les démonographes, étaient sinon des démons, au moins des hommes métamorphosés ; comme Apulée, qui fut, ainsi qu’on sait, transmué en âne. L’auteur du Speculum naturæ raconte la légende de deux femmes qui tenaient une petite auberge auprès de Rome, et qui allaient vendre leurs hôtes au marché après les avoir changés en pourceaux, en poulets, en moutons. Une d’elles, ajoute-t-il, transforma un comédien en âne, et comme il conservait ses talents sous sa nouvelle peau, elle le menait dans les foires des environs, où il lui gagnait beaucoup d’argent. Un voisin acheta très cher cet âne savant. En le lui livrant, la sorcière se borna à lui recommander de ne pas le laisser entrer dans l’eau, ce que le nouveau maître de l’âne observa quelque temps. Mais un jour le pauvre animal, ayant trouvé moyen de rompre son licou, se jeta dans un lac, où il reprit sa forme naturelle, au grand étonnement de son conducteur. L’affaire, dit le conte, fut portée au juge, qui fit châtier les deux sorcières.

Les rabbins font très grand cas de l’ânesse de Balaam. C’est, disent-ils, un animal privilégié que Dieu forma à la fin du sixième jour. Abraham se servit d’elle pour porter le bois destiné au sacrifice d’Isaac ; elle porta ensuite la femme et le fils de Moïse dans le désert. Ils assurent que cette ânesse est soigneusement nourrie, et réservée dans un lieu secret jusqu’à l’avènement du Messie juif, qui doit la monter pour soumettre toute la terre. (Voyez : Borack).

1.

Saint-Foix, Essai sur Paris, tome II.

2.

Leon Africanus, part. VIII, delta Africa, cité dans Leloyer.