Vampire

  • Croyances populaires
  • Alfred Maury
  • Encyclopédie moderne

Vampire. Suivant une croyance qui fut fort répandue en Europe il y a deux siècles environ, les vampires sont des morts qui sortent la nuit des cimetières pour aller sucer le sang des vivants, soit à la gorge, soit au ventre, et qui viennent ensuite se remettre dans leur fosse. Les vivants sucés à leur insu, durant leur sommeil, par ces terribles revenants, pâlissaient, tombaient en consomption, tandis que les vampires prenaient des couleurs vermeilles, qui, lorsqu’on ouvrait leur cercueil, dénonçaient leur cadavre.

La croyance aux vampires ne remonte pas à une haute antiquité ; elle fut inconnue aux Grecs, aux Romains et au moyen âge. Elle parait avoir pris naissance chez les populations de race slave. On la trouve en effet chez les Esclavons, les Slovaques ; elle a été longtemps répandue en Pologne, en Silésie, en Moravie. Elle existe aussi depuis longtemps en Épire et chez les Grecs modernes ; mais elle a été évidemment introduite par les Dahnates et les Monténégrins, et ce qui le prouve, c’est le nom de broucolocas, que ceux ci leur donnent, car ce nom est une altération du slave vukozlak, nom donné par les Dalmates au vampire ; ce dernier nom lui-même est une corruption du mot oupire, qui a en esclavon le sens de sangsue.

Pour les Morlaques les vukozlaks sont des morts qui ont mené une vie coupable, et qui, par suite des instincts mauvais auxquels ils demeurent soumis après leur mort, prennent plaisir à tourmenter les vivants. Lorsque quelque Morlaque attribue l’amaigrissement de son enfant ou d’une personne qui lui est chère aux visites d’un vampire, il s’adresse à un prêtre, qui se rend ensuite au tombeau de celui qu’on soupçonne de vampirisme ; il ouvre le cadavre, et lui perce le cœur avec des épingles, des épines ou un pieu ; après cela on s’imagine que le vampire ne peut plus recommencer ses courses nocturnes.

En Grèce les vampires sont devenus des morts dont le corps ne peut se dissoudre, parce qu’il a été frappé d’excommunication. Aussi a-t-on cherché à rattacher cette croyance par ses origines au christianisme : mais nous sommes plus porté à admettre que cette croyance vient du paganisme slave.

Cette superstition se propagea en Europe avec une extrême rapidité au commencement du dix-huitième siècle. Elle pénétra en Autriche, en Allemagne et jusqu’en Lorraine. On n’entendit plus parler que de vampires, écrit Voltaire, depuis 1730 jusqu’en 1735 ; on les guetta, on leur arracha le cœur, et on les brûla. Il est curieux, soit dit en passant, de voir à certaines époques des superstitions d’abord très circonscrites, et en apparence toute locales, prendre une vogue extrême, s’emparer de tous les esprits pour un temps. Elles donnent naissance à de véritables épidémies superstitieuses, dont le temps seul parvient à atténuer l’intensité. C’est ce qui arriva au seizième siècle pour la magie et l’astrologie, au dix-neuvième pour le magnétisme animal. Ce phénomène intellectuel est analogue à celui qui se manifeste à la naissance de certaines religions.

Dom Calmet, aussi crédule que savant, fut dupe de ces imaginations, et, suivant l’expression de Voltaire, devint l’historiographe des vampires. Il a publié à ce sujet un ouvrage intitulé : Traité sur les Apparitions des esprits et sur les Vampires ou revenants ; Paris, 1751, 2 vol. in-12.

Voltaire a judicieusement rapproché les affirmations, si positives, produites en faveur de ces contes de celles qui ont été produites à propos de légendes sacrées plus accréditées ; et il en a conclu, comme conséquence naturelle, que les témoignages prétendus contemporains ont peu de valeur en matière de critique quand l’erreur qu’il s’agit de mettre au jour a été adoptée a priori par ces témoins, et lorsque les habitudes de critique et de doute sont absolument étrangères à l’époque ou au milieu dans lequel iis vivent. Laissons parler le philosophe de Ferney :

« C’est une chose à mon gré très curieuse que les procès-verbaux faits juridiquement concernant tous les morts qui étaient sortis de leur tombeau pour venir sucer tes petits garçons et les petites filles du voisinage. Dom Calmet rapporte qu’en Hongrie deux officiers délégués par l’empereur Charles VI, assistés du bailli du lieu et du bourreau, allèrent faire enquête d’un vampire mort depuis six semaines, qui suçait tout le voisinage On le trouva dans sa bière, frais, gaillard, les yeux ouverts, et demandant à manger ; le bailli rendit la sentence. Le bourreau arracha le cœur au vampire, et le brûla, après quoi le vampire ne mangea plus. Qu’on ose douter après cela des morts ressuscités dont nos anciennes légendes sont remplies, et de tous les miracles rapportés par Bollandus et par le sincère et révérend Dom Ruinart. »

La croyance au vampirisme a presque totalement disparu en Allemagne ; mais elle persiste encore dans l’Esclavonie, la Morlaquie et chez les paysans de la Grèce.

Ces vampires semblent avoir une certaine parenté d’une part avec les ghouls de l’Orient, de l’autre avec les lémures des anciens et les Lamies. Le ghoul est une sorte de djinn ou de mauvais génie qui mange les hommes et les cadavres ; aussi le rencontre-t-on surtout près des cimetières. Souvent il prend l’apparence d’une femme. Malheur au vojageur qui cède aux provocations amoureuses qu’elle lui adresse ; il assouvit sa voracité.

Les lémures étaient les âmes des méchants ou de ceux qui n’avaient point reçu la sépulture, lesquelles tourmentaient les vivants ; les lamies étaient des spectres féminins, qui s’attachaient aux enfants, en buvaient le sang et en dévoraient la chair.

Mais ces analogies ne sauraient être une raison suffisante pour faire dériver ces croyances d’une origine commune. L’imagination crédule des populations primitives s’est maintes fois rencontrée dans ces créations. Le champ des spéculations superstitieuses est assez limité pour que des esprits différents et indépendants les uns des autres aient pu fréquemment s’arrêter au même point.