Physiognomonie

  • Dictionnaire infernal

Physiognomonie, art de juger les hommes par les traits du visage, ou talent de connaître l’intérieur de l’homme par son extérieur.

Cette science a eu plus d’ennemis que de partisans ; elle ne paraît pourtant ridicule que quand on veut la pousser trop loin. Tous les visages, toutes les formes, tous les êtres créés diffèrent entre eux, non-seulement dans leurs classes, dans leurs genres, dans leurs espèces, mais aussi dans leur individualité. Pourquoi cette diversité de formes ne serait-elle pas la conséquence de la diversité des caractères, ou pourquoi la diversité des caractères ne serait-elle pas liée, à cette diversité de forme ? Chaque passion, chaque sens, chaque qualité prend sa place dans le corps de tout être créé ; la colère enfle les muscles : les muselés enflés sont donc un signe de colère ?… Des yeux pleins de feu, un regard aussi prompt que l’éclair et un esprit vif et pénétrant se retrouvent cent fois ensemble. Un œil ouvert et serein se rencontre mille fois avec un cœur franc et honnête. Pourquoi ne pas chercher à connaître les hommes par leur physionomie ? On juge tous, les jours le ciel sur sa physionomie. Un marchand apprécie ce qu’il achète par son extérieur, par sa physionomie… Tels sont les raisonnements des physionomistes pour prouver la sûreté de leur science. Il est vrai, ajoutent-ils, qu’on peut quelquefois s’y tromper ; mais une exception ne doit pas nuire aux règles.

J’ai vu, dit Lavater, un criminel condamné à la roue pour avoir assassiné son bienfaiteur, et ce monstre avait le visage ouvert et gracieux comme l’ange du Guide. Il ne serait pas impossible de trouver aux galères des têtes de Régulus et des physionomies de vestales dans une maison de force. Cependant le physionomiste habile distinguera les traits, souvent presque imperceptibles, qui annoncent le vice et la dégradation.

Quoi qu’il en soit de la physiognomonie, en voici les principes, tantôt raisonnables, tantôt forcés ; le lecteur saura choisir.

La beauté morale est ordinairement en harmonie avec la beauté physique. (Socrate et mille et mille autres prouvent le contraire.) Beaucoup de personnes gagnent à mesure qu’on apprend à les connaître, quoiqu’elles vous aient déplu au premier aspect. Il faut qu’il y ait entre elles et vous quelque point de dissonance, puisque, du premier abord, ce qui devait vous rapprocher ne vous a point frappé. Il faut aussi qu’il y ait entre vous quelque rapport secret, puisque plus vous vous voyez, plus vous vous convenez. Cependant faites attention au premier mouvement d’instinct que vous inspire une nouvelle liaison. Tout homme dont la figure, dont la bouche, dont la démarche, dont l’écriture est de travers, aura dans sa façon de penser, dans son caractère, dans ses procédés, du louche, de l’inconséquence, de la partialité, du sophistique, de la fausseté, de la ruse, du caprice, des contradictions, de la fourberie, une imbécillité dure et froide. (Voyez : Mimique, Écriture, etc).

La tête est la plus noble partie du corps humain, le siège de l’esprit et des facultés intellectuelles. (Le docteur Van Helmont plaçait les facultés intellectuelles dans d’estomac.) Une tête qui est en proportion avec le reste du corps, qui paraît telle au premier abord, qui n’est ni trop grande ni trop petite, annoncé un caractère d’esprit plus parfait qu’on n’en oserait attendre d’une tête disproportionnée. Trop volumineuse, elle indique presque toujours la grossièreté ; trop petite, elle est un signe de faiblesse. Quelque proportionnée que soit la tête au corps, il faut encore qu’elle ne soit ni trop arrondie ni trop allongée : plus elle est régulière, et plus elle est parfaite. On peut appeler bien organisée celle dont la hauteur perpendiculaire, prise depuis l’extrémité de l’occiput jusqu’à la pointe dû nez, est égale à sa largeur horizontale. Une tête trop longue annonce un homme de peu de sens, vain, curieux, envieux et crédule. La tête penchée vers la terre est la marque d’un homme sage, constant dans ses entreprises. Une tête qui tourne de tous côtés annonce la présomption, la médiocrité, le mensonge, un esprit pervers, léger, et un jugement faible.

On peut diviser le visage en trois parties, dont la première s’étend depuis le front jusqu’aux sourcils ; la seconde depuis les sourcils jusqu’au bas du nez ; la troisième depuis le bas du nez jusqu’à l’extrémité de l’os du menton. Plus ces trois étages sont symétriques, plus on peut compter sur la justesse de l’esprit et sur la régularité du caractère en général. Quand il s’agit d’un visage dont d’organisation est extrêmement forte ou extrêmement délicate, le caractère peut être apprécié plus facilement par le profil que par la face. Sans compter que le profil se prête moins à la dissimulation, il offre des lignes plus vigoureusement prononcées, plus précises, plus simples, plus pures ; par conséquent la signification en est aisée à saisir ; au lieu que souvent les lignes de la face en plein sont assez difficiles à démêler.

Un beau profil suppose toujours l’analogie d’un caractère distingué. Mais on trouve mille profils qui, sans être beaux, peuvent admettre la supériorité du caractère. Un visage charnu annonce une personne timide, enjouée, crédule et présomptueuse. Un homme laborieux a souvent le visage maigre, Un visage qui sue à la moindre agitation annonce un tempérament chaud, un esprit vain et grossier, un penchant à la gourmandise.

Les cheveux offrent des indices multipliés du tempérament de l’homme, de son énergie, de sa façon de sentir, et aussi de ses facultés spirituelles. Ils n’admettent pas la moindre dissimulation ; ils répondent à notre constitution physique, comme les plantes et les fruits répondent au terroir qui les produit. Je suis sûr, dit Lavater, que par l’élasticité des cheveux on pourrait juger de l’élasticité du caractère. Les cheveux longs, plats, disgracieux n’annoncent rien que d’ordinaire.

Les chevelures d’un jaune doré, ou d’un blond tirant sur le brun, qui reluisent doucement, qui se roulent facilement et agréablement, sont les chevelures nobles (en Suisse, patrie de Lavater).

Des cheveux noirs, plats, épais et gros dénotent peu d’esprit, mais de l’assiduité et de l’amour de l’ordre. Les cheveux blonds annoncent généralement un tempérament délicat, sanguin-flegmatique. Les cheveux roux caractérisent, dit-on, un homme souverainement bon, ou souverainement méchant. Les cheveux fins marquent la timidité ; rudes, ils annoncent le courage (Napoléon les avait fins, dit-on) : ce signe caractéristique est du nombre de ceux qui sont communs à l’homme et aux animaux. Parmi les quadrupèdes, le cerf, le lièvre, la brebis, qui sont au rang des plus timides, se distinguent particulièrement des autres par la douceur de leur poil, tandis que la rudesse de celui du lion et du sanglier répond au courage qui fait leur caractère.

Mais que dire du chat et du tigre, qui ont le poil fin ?

En appliquant ces remarques à l’espèce humaine, les habitants du Nord sont ordinairement très courageux, et ils ont la chevelure rude ; les Orientaux sont beaucoup plus timides, et leurs cheveux sont plus doux.

Les cheveux crépus marquent un homme de dure conception. Ceux qui ont beaucoup de cheveux sur les tempes et sur le front sont grossiers et orgueilleux. Alexandre Dumas est crépu.

Une barbe fournie et bien rangée annonce un homme d’un bon naturel et d’un tempérament raisonnable. Celui qui a la barbe claire et mal disposée tient plus du naturel et des inclinations de la femme que de celles de l’homme. Si la couleur de la barbe diffère de celle des cheveux, elle n’annonce rien de bon. De même, un contraste frappant entre la couleur de la chevelure et la couleur des sourcils peut inspirer quelqu défiance…

Le front, de toutes les parties du visage, est la plus importante et la plus caractéristique. Les fronts, vus de profil, peuvent se réduire à trois classes générales. Ils sont ou penchés en arrière, ou perpendiculaires, ou proéminents. Les fronts penchés en arrière indiquent en général de l’imagination, de l’esprit et de la délicatesse. Une perpendicularité complète, depuis les cheveux jusqu’aux sourcils, est le signe d’un manque total d’esprit. Une forme perpendiculaire, qui se voûte insensiblement par le haut, annonce un esprit capable de beaucoup de réflexion, un penseur rassis et profond. Les fronts proéminents appartiennent à des esprits faibles et bornés et qui ne parviendront jamais à une certaine maturité. Plus le front est allongé, plus l’esprit est dépourvu d’énergie et manque de ressort. Plus il est serré, court etcompacte, plus le caractère est concentré, ferme et solide… Pour qu’un front soit heureux, parfaitement beau et d’une expression qui annonce à la fois la richesse du jugement et la noblesse du caractère, il doit se trouver, dans la plus exacte proportion avec le reste du visage. Exempt de toute espèce d’inégalités et de rides permanentes, il doit pourtant en être susceptible. Mais alors il ne se plissera que dans les moments d’une méditation sérieuse, dans un mouvement de douleur ou d’indignation. Il doit reculer parle haut. La couleur de la peau doit en être plus claire que celle des autres parties du visage.

Si l’os de l’œil est un peu saillant, c’est le signe d’une aptitude singulière aux travaux de l’esprit, d’une sagacité extraordinaire pour les grandes entreprises. Mais sans cet angle saillant, il y a des têtes excellentes, qui n’en ont que plus de solidité lorsque le bas du front s’affaisse, comme un mur perpendiculaire, sur des sourcils placés horizontalement, et qu’il s’arrondit et se voûte imperceptiblement, des deux côtés, vers les tempes. Les fronts courts, ridés, noueux, irréguliers, enfoncés d’un côté, échancrés, ou qui se plissent toujours différemment, ne sont pas une bonne recommandation, et ne doivent pas inspirer beaucoup de confiance. Les fronts carrés, dont les marges latérales sont encore assez spacieuses, et dont l’os de l’œil est en même temps-bien solide, supposent un grand fond de sagesse et de courage. Toits les physionomistes s’accordent sur ce point. Un front très osseux et garni de beaucoup de peau annonce un naturel acariâtre et querelleur. Un front élevé, avec un visage long et pointu vers le menton, est un signe de faiblesse. Des fronts allongés, avec une peau fortement tendue et très unie, sur lesquels on n’aperçoit, même à l’occasion d’une joie peu commune, aucun pli doucement animé, sont toujours l’indice d’un caractère froid, soupçonneux, caustique, opiniâtre, fâcheux, rempli de prétentions, rampant et vindicatif. Un front qui, du haut, penche en avant et s’enfonce vers l’œil est, dans un homme fait, l’indice d’une imbécillité sans ressource. (Voyez : Métoposcopie).

Au-dessous du front commence sa belle frontière, le sourcil, arc-en-ciel de paix dans sa douceur, arc tendu de la discorde lorsqu’il exprime le courroux. Des sourcils doucement arqués s’accordent avec la modestie et la simplicité. Placés en ligne droite et horizontalement, ils se rapportent à un caractère mâle et vigoureux. Lorsque leur forme est moitié horizontale et moitié courbée, la force de l’esprit se trouve réunie à une bonté ingénue.

Des sourcils rudes et en désordre sont toujours le signe d’une vivacité intraitable ; mais cette même confusion annonce un feu modéré, si le poil est fin. Lorsqu’ils sont épais et compactes, que les poils sont coupés parallèlement, et pour ainsi dire tirés au cordeau, ils promettent un jugement mûr et solide, un sens droit et rassis.

Des sourcils qui se joignent passaient pour un trait de beauté chez les Arabes, tandis que les anciens physionomistes y attachaient l’idée d’un caractère sournois. La première de ces deux opinions est fausse, la seconde exagérée, car on trouve souvent ces sortes de sourcils aux physionomies les plus honnêtes et les plus aimables. Les sourcils minces sont une marque infaillible de flegme et de faiblesse ; ils diminuent la force et la vivacité du caractère dans un homme énergique. Anguleux et entrecoupés, les sourcils dénotent l’activité d’un esprit productif. Plus les sourcils s’approchent des yeux, plus le caractère est sérieux, profond et solide. Une grande distance de l’un à l’autre annonce une âme calme et tranquille. Le mouvement des sourcils est d’une expression infinie ; il sert principalement à marquer les passions ignobles, l’orgueil, la colère, le dédain. Un homme sourcilleux est un être méprisant et souventes fois méprisable.