Délire

  • Médecine
  • C. Leblanc.
  • Encyclopédie moderne

Délire. « Ce mot est employé par les pathologistes pour désigner certains désordres des fonctions cérébrales ; les définitions données, jusqu’à présent, du délire sont, ou vagues, obscures et inintelligibles, ou incomplètes et peu caractéristiques. C’est qu’en effet il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’établir des divisions bien tranchées et des classes bien limitées dans une série d’effets provenant d’une même cause ; de séparer rigoureusement les actions saines des actions morbides ; de poser, enfin, les limites de la raison et celles du délire, sans laisser en dehors de ces deux états des phénomènes qui ne lui appartiennent pas, sans comprendre dans le délire des actes de raison, et dans la raison des actes de délire.

« La difficulté devient plus grande encore si, au lieu d’étudier ensemble, de placer dans un même tableau, tous les actes d’un même organe, du cerveau, par exemple, on considère ces actes les uns sans les autres, et comme s’ils n’avaient entre eux que peu ou point de rapports ; si, au lieu de parcourir du même coup d’œil le vaste tableau des désordres de l’intelligence, depuis l’esprit faux qui n’aperçoit pas la qualité réelle des corps, jusqu’au délire le plus voisin de la perte de toute espèce de connaissance, l’on isole et l’on décore d’un nom particulier toutes les aberrations mentales un peu singulières pour en faire ensuite autant de lésions spéciales, historiées et classées dans le système de nosologie. La paresse intellectuelle, la concentration de la pensée sur un petit nombre d’idées, sur une sensation vive, sur une passion ou une affection violente, la tension et l’agitation de l’esprit chez l’homme qui médite profondément ; chez les personnes hystériques ou hypocondriaques, l’exaltation sensoriale, et de plus la perversion singulière du caractère, chez les derniers ; l’exaltation extatique, l’adynamie intellectuelle, le radotage de l’extrême vieillesse, l’hébétude, l’abrutissement, que l’on observe particulièrement chez les ivrognes et chez les individus qui s’adonnent avec excès aux plaisirs de l’amour ; les hallucinations ou perceptions sans objet, excitées, soit aux extrémités nerveuses, soit au cerveau, par une influence morbide ; les variétés nombreuses du délire, de l’aliénation mentale, le délire aigu, etc., tous ces divers modes de l’exercice intellectuel ont des traits de ressemblance que ne peut méconnaître l’observateur le moins profond. Supposons que l’on voulût définir ainsi le délire en général : désordres de l’intelligence, inaperçus de la conscience et indépendants de la volonté, sans coma profond. Eh bien ! presque tous les aliénés veulent, leurs actions sont motivées ; ils ont parfaitement conscience des actes de leur cerveau ; seulement la plupart ignorent qu’ils sont hors des voies de la raison, et se croient en bonne santé. Quelques-uns savent et disent pourtant très bien que leur tête est dérangée, qu’ils sont poussés à la déraison, sans être les maîtres de penser, de vouloir et de se conduire comme par le passé. D’un autre côté, les désirs et la volonté de l’homme ne sont-ils pas, sans qu’il s’en doute, influencés, dans une foule de circonstances, par ses goûts, ses penchants, ses passions, ses opinions, par les impressions des objets extérieurs ? Ne commet-ii pas à chaque instant des actes automatiques, sans concours de la volonté, et quelquefois presque sans conscience ? Cependant, il faut en convenir, personne ne se méprend, dans l’immense majorité des cas, sur l’état d’un malade qui délire, d’un individu qui est ivre, et d’un aliéné qui déraisonne. Il est des choses que l’esprit conçoit, des rapports qu’il aperçoit, sans pouvoir les pressentir, de manière à les montrer pour ainsi dire aux yeux de celui qui ne les aurait point vus. Je ne chercherai donc point à définir ou à caractériser ni le délire ni la raison. »