Ange

  • Histoire religieuse
  • Alfred Maury
  • Encyclopédie moderne

Ange. Ce mot est la transcription française du grec ’Αγγελος, qui veut dire messager, envoyé, et par lequel, dans la version des Septante et chez les Juifs alexandrins, on traduisait l’hébreu Maleâch qui a, en effet, la même signification. Les anges sont des êtres d’une nature supérieure à l’homme, participant plus que lui de l’essence divine et qui forment le chaînon qui rattache l’âme humaine à l’Etre suprême. Les peuples de l’Asie, qui ont professé le monothéisme véritable, les Juifs et les anciens Chinois, n’ont pas possédé celle notion admirable d’un Dieu unique, entièrement dégagée de toute idée polythéiste empruntée au système religieux qui l’avait précédée. Ce n’est que le développement lent et graduel de la raison qui a fait naître la pensée d’un être créateur, nécessaire, absolu et présidant aux lois de l’univers, lois qui ne sont que l’expression de sa volonté. Si parfois un génie puissant, devançant les idées de son siècle, est venu enseigner ce dogme sublime, il n’a pu se soustraire complètement aux influences de croyances plus grossières ; et la notion qu’il a donnée a gardé la tache originelle qui accuse les erreurs dont son intelligence était encore obscurcie. Confucius, tout en prêchant l’adoration de Chang-ti, maître unique du Thien, c’est-à-dire du ciel, de l’univers, sacrifiait aux esprits des bois, des eaux et des montagnes. Moïse, en nous montrant Jéhovah, seul dominateur du monde, laisse subsister au-dessous de lui des chérubins, des maleâchim, sujets sans doute comme l’homme, mais d’une nature supérieure à lui, et aidant l’Éternel dans l’accomplissement de ses volontés, peut-être même coéternels avec lui ou éternellement émanés de son sein, puisque la Genèse ne nous dit rien de leur création. Les philosophes de la Grèce entrevirent le dogme de l’unité de Dieu, et néanmoins ils conservèrent presque toutes les divinités populaires, qu’ils subordonnèrent au Zeus ou Theos par excellence ; non que ce fût, une concession faite aux superstitions de leurs contemporains, mais par une suite des préjugés dont ils n’avaient point entièrement secoué le joug.

Les anges furent donc chez les Hébreux un dernier lambeau du polythéisme, un vestige du culte des divinités sidérales et des génies bons et mauvais, que le zoroastérisme avait aussi fait entrer dans sa théologie, mais en les rangeant dans une hiérarchie systématique. La religion de Jéhovah, greffée sur celle des Élohim ou des forces de la nature, s’assimila les éléments moins purs de cette dernière, sans se préoccuper de faire cadrer parfaitement avec eux ses nouvelles conceptions ; contradictions dont la Bible nous offre des preuves nombreuses.

Autant qu’on en peut juger par l’examen attentif de la Genèse, par la séparation et la comparaison des divers fragments qui ont été réunis en un seul corps pour former la totalité de ce livre, le culte des Élohim, c’est-à-dire des forces, des puissances physiques, des Elah, a précédé, chez les Juifs, celui de Jéhovah, Dieu unique, que, selon toute apparence, Moïse conçut le premier, et pour l’établissement duquel fut rédigé cet écrit sacré. Deux récits du même fait, rapportés en termes un peu différents, se trouvent rattachés l’un à l’autre ; dans l’un les Élohim jouent le rôle que Jéhovah joue dans l’autre ; ces raccordements évidents se laissent facilement reconnaître, notamment dans la relation de la création, dans le mythe de Noé, dans l’histoire d’Abraham. L’univers nous est d’abord représenté comme formé par les Élohim ; puis un récit plus concis répète le même fait, en s’étendant davantage sur ce qui touche la terre, dont, cette fois, Jéhovah est donné comme l’auteur. Si la formation des anges avait obtenu une place dans cette cosmogonie, c’eût été évidemment dans le premier récit, où s’offre une longue énumération des différents genres de créatures ; dans le second, comme il n’est question que de l’homme, des végétaux et des animaux, il ne faut pas s’étonner de n’y point voir figurer la naissance des anges. Mais, dans le premier document, le silence gardé sur ces êtres ne peut laisser aucun doute : il indique, ou que la croyance aux anges n’existait pas à l’époque de la composition primitive de cette cosmogonie, ou il fait voir que, sous le nom d’Élohim, pris plus tard comme synonyme de Jéhovah, auquel ce mot fut accolé, on entendait Dieu et les anges : c’est, en effet, la supposition la plus vraisemblable ; car elle rattache cette première théorie de la création aux dogmes du mazdéisme dont les origines durent se confondre, en beaucoup de points, avec celles du mosaïsme, puisque c’était dans des contrées voisines que ces deux religions s’étaient formées.

Cependant Jéhovah se sépara peu à peu de ses codivinités, les Élohim, qui furent bientôt réduites au rôle secondaire d’exécuteurs de ses ordres et de messagers de ses volontés. D’abord appelé Jéhovah Élohim, Dieu ne fut plus par la suite que Jéhovah, et la forme plurielle Élohim lui fut appliquée dans une acception singulière à lui, le Dieu éternel, le Dieu jaloux d’Israël. Ainsi, la .plus ancienne religion des Juifs, celle qui, selon toute probabilité, était celle d’Abraham, personnage que les Juifs regardaient, ainsi que plusieurs tribus arabes, comme leur ancêtre, fut celle des Élohim ; c’était une sorte de sabéisme épuré, de panthéisme polythéiste, tel que celui que l’on rencontre chez presque toutes les nations de l’Asie, dans les temps les plus reculés. C’étaient ces mêmes Élohim qui passaient, chez les Hébreux, pour leur avoir ordonné de se circoncire, usage que Moïse trouva déjà en vigueur chez son peuple et auquel il apporta une sanction religieuse.

La création du monde par les anges nous parait donc, nous le répétons, le dogme antérieur à la Genèse chez les Israélites. Dans la théologie zend, les amschaspands aident Ormuzd à créer l’univers ; chez les Égyptiens, Cnouphis et Phtah sont les deux démiurges qui organisent ce monde ; dans presque toutes les cosmogonies, des divinités secondaires aident dans son œuvre le créateur suprême. D’après le Timée de Platon, Dieu, après avoir donné les lois aux âmes, après les avoir répandues dans l’univers, laissa aux jeunes divinités le soin de façonner les corps mortels, et d’ajouter à l’âme humaine tout ce qui lui manquait. Cette donnée de la création opérée par les anges, reparaît chez les gnostiques : on voit, dans leur doctrine, le démiurge, assisté de six génies, procréer le monde, et la formation de l’univers par les anges se rattacher, chez les diverses sectes gnostiques, à une donnée cosmogonique particulière.