Anthropomorphisme

  • Philosophie
  • Ch. Cassou
  • Encyclopédie moderne

Anthropomorphisme. On peut définir l’anthropomorphisme une tendance inhérente à notre esprit, qui nous porte, soit que nous parlions de Dieu, soit que nous pensions à ses perfections, à lui attribuer la forme, les actes, les passions et les sentiments de l’espèce humaine. Au quatrième siècle de notre ère, cette tendance devint une hérésie chrétienne ; et on vit des sectaires, qu’on nomma pour cette cause anthropomorphites, professer que Dieu avait la forme corporelle ; ils appuyaient leur doctrine sur les nombreux passages de la Bible où il est dit « que Dieu créa le monde à son image, que le monde est l’ouvrage de ses mains, et que ses yeux veillent sur l’indigent. » L’erreur était grossière de prendre des figures de langage pour la réalité ; et cependant l’anthropomorphisme est tellement une condition de notre intelligence, que toutes les religions l’ont plus ou moins admis. Cela se conçoit ; l’homme n’existe que par ses facultés et dans ses facultés ; or ses facultés ne sont en rapport direct qu’avec l’espace, la matière, le temps ; tous les objets de ses connaissances se jouent dans ces trois éléments. Tout ce qu’il conçoit a donc pour rapport la quantité, le mode, ou la qualité ; s’il veut émettre une pensée, une manifestation de son être, sa pensée passera nécessairement à travers ces différents milieux.

L’image est tout ce que nous connaissons des objets, et le mot idée ne signifie pas autre chose. L’intelligence humaine, aussitôt qu’elle se met en relation avec les objets, leur communique une partie de son individualité, et les objets lui communiquent l’empreinte de leurs modes d’être ; dans cet échange d’absorption et d’effusion, dans ce balancement du cerveau aux objets et des objets au cerveau, l’empreinte est réciproque. De là vient que, lorsque nous voulons rendre ces impressions, nous les désignons par leur propre représentation. S’il n’est pas vrai qu’on ne puissee pas penser sans signes, il est toujours juste de dire que le langage est un perpétuel morphisme (μορφή), pour ainsi parler.

Or, quand nous pensons à Dieu, nous ne pouvons nous affranchir de notre nature ; notre pensée peut bien s’élever par un effet de son intuition à la notion absolue de l’Être suprême ; mais l’instant où elle peut se tenir à cette hauteur est rapide et presque inappréciable ; elle retombe aussitôt sur sa nature, sur ses facultés ; et, si elle s’obstine à scruter l’être divin, elle ne l’entrevoit plus qu’à travers les propriétés mêmes de l’homme. Seulement pour marquer l’immense distance qui sépare Dieu de l’homme, l’intelligence procède par contrastes, et nie de Dieu tout ce qui est inhérent à l’homme ; elle le qualifie d’immortel, d’infini, d’immuable, négations qui s’appuient encore sur les qualités mêmes dont elles sont les contraires. Encore ces attributs ne sont-ils donnés à Dieu qu’autant qu’on le conçoit isolé du monde ; et du moment qu’on étudie ses relations avec la nature, l’anthropomorphisme est manifeste ; Dieu prend alors les qualités morales de l’homme : la bonté, la mansuétude, la justice, etc., et quoique infinies dans leur intensité, ces qualités ne font de Dieu qu’un homme parfait et idéalisé.

Si les signes sont nécessaires à l’émission de la pensée, les symboles, qui sont les signes représentatifs de la divinité, sont nécessaires dans la religion. Nous ne connaissons jusqu’à présent que l’islamisme, qui ait poussé la crainte de la superstition jusqu’à proscrire toute représentation idéale, soit de Dieu, soit même de l’homme. Les symboles transparents et simples, loin d’être superstitieux, servent, au contraire, par une espèce de délimitation de la divinité, à arrêter les intelligences, qui, égarées dans le vague de rabstraction, arrivent bien vite au panthéisme. Nous connaissons la vénération du sauvage pour son fétiche, le fanatisme de quelques peuples pour leurs idoles, et nous avons peine à croire pourtant que l’esprit de ces idolâtres, quelque enveloppé qu’il soit dans la forme, n’aperçoive pas au delà de cette forme qu’il adore un être, qui n’est pas elle, mais dont elle est la matérialisation ou plutôt l’image. S’il y a notion absolue de Dieu dans tout fétichisme, le rejet de tous symboles n’implique pas non plus athéisme ; car, nous le répétons, l’homme peut arriver indépendamment des sens à la notion de Dieu.

L’anthropomorphisme est une des sources les plus fécondes de l’art ; les chefs-d’oeuvre de plastique et de poésie de l’antique Grèce ont fait vivre parmi les hommes tout un olympe éclatant et sublime de ces dieux, qui n’étaient que des types des attributs purifiés de l’homme.

Les casuistes distinguent l’anthropomorphisme proprement dit de l’anthropopathie ; cette dernière serait cet anthropomorphisme spirituel qui consisterait seulement à donner à Dieu nos sentiments, nos passions, nos facultés morales.

Pluquet, Hist, des hérésies, t. I, art. Anthropomorphisme.

Creuzer, Symbolique, traduite en français par M. Guignaut, t. I, Introduction.

Condillac, Langue des calculs.

De Bonald, Recherches philosophiques.

Bouchitté, De la notion de Dieu dans ses rapports avec la sensibilité et l’imagination.