Alesia

  • Ernest Grégoire
  • Encyclopédie de famille

Alesia, nom de l’endroit où s’est livrée la dernière bataille entre César et les Gaulois, conduits par Vercingétorix. Vainqueur à Genabum, à Avaricum, mais moins heureux à Gergovie, César passa la Loire près de Nevers, atteignit l’armée de Vercingétorix dans le pays des Lingons, et la défit dans une bataille. Le général gaulois, qui s’était réfugié sous les murs d Alesia, avec 80,000 hommes d’élite, y fut suivi par César, qui vint mettre le siège devant la place. Tandis que Vercingétorix, campé à mi-côte, se disposait à une vigoureuse résistance, le général romain faisait tirer une ligne de circonvallation de onze milles d’étendue, et fortifiait son camp de vingt-trois forts. Pendant que les Romains achevaient ces travaux, un combat de cavalerie s’engage ; les Gaulois sont mis en déroute, et ne regagnent leur camp qu’avec peine. Vercingétorix, qui sait que les Romains n’ont pas encore achevé leurs retranchements, profite de cette circonstance pour renvoyer sa cavalerie pendant la nuit, avec ordre à chacun de retourner dans son pays pour lui ramener des renforts. César, instruit de cette résolution, prend de nouvelles dispositions de défense, établit une ligne de contrevallation garnie de fossés, de terrasses et de remparts. Cependant la Gaule entière s’était levée à la voix de Vercingétorix ; 8,000 cavaliers, 250,000 fantassins accourent au secours d’Alesia. Mais les efforts réunis des assiégés et de leurs auxiliaires sont impuissants ; 300,000 hommes viennent se briser contre les retranchements de César, la tactique romaine et le courage de ses soldats. Vaincus dans trois combats, les Gaulois se rendent après sept mois d’un siège opiniâtre (l’an 52 avant J.-C.). La prise d’Alesia fut le signal de l’asservissement de la Gaule. La ville fut détruite, et Vercingétorix alla orner les triomphes du général romain.

On plaçait généralement le lieu de cette lutte à Alise-Sainte-Reine ; mais en 1855, M. Delacroix, architecte de Besançon, émit l’idée que ce devait être plutôt Alaise, village du département du Doubs, situé à 25 kilomètres au sud de Besançon, près des monts Salins, au milieu de rochers de l’accès le plus difficile. Cette opinion soutenue avec talent par son auteur et appuyée par MM. Jules Quicherat, P. Bial, Castan, Desjardins, etc., a soulevé une polémique ardente.

C’est au neuvième siècle qu’un moine, du nom de Herric, croyant découvrir plusieurs analogies entre la situation d’Alise et celle de d’Alesia des Commentaires de César, imagina de proclamer l’identité de ces deux endroits ; aucune tradition locale ni d’autres documents n’appuyaient son assertion. Elle passa néanmoins sans conteste dans le domaine de l’histoire. Mais en 1812 Vaca Berlinghieri releva une foule de contradictions entre le récit du général romain et la disposition d’Alise et de ses environs. Napoléon, méditant à Sainte-Hélène sur les guerres de César, arrivait aux mêmes conclusions, et traita d’inintelligible et d’incroyable, en raison de la situation d’Alise, la plus grande partie des faits racontés par César. Il était surtout frappé de l’impossibilité qu’il y aurait eu de loger pendant plus d’un mois sur le plateau du mont Auxois, qui n’a que 97 hectares, les 80,000 hommes de l’armée gauloise et les 90,000 âmes effectif du peuple des Mandubiens, dont Alesia était la capitale, lesquels s’étaient tous réfugiés dans ses murs, sans compter les cinquante mille et quelques têtes de bétail qui y avaient été amenées. Cette objection ne peut être élevée contre Alaise, dont l’enceinte est de 400 hectares.

Alaise ne se trouve-t-elle pas aussi naturellement sur le chemin que César était obligé de prendre dans les circonstances qu’il indique ? Battu a Gergovie il s’était retiré chez les Lingons (habitants du pays de Langres) qui avec les Rémois lui étaient seuls restés fidèles, tandis que le reste de la Gaule était en pleine insurrection et se réunissait pour cerner son armée. Il apprend que la Province est attaquée, que le territoire dès Allobroges notamment (Dauphiné et Savoie) vient d’être envahi par ses ennemis. Il se met alors en route, et, comme il le rapporte, il traverse la frontière des Lingons (la Saône) pour entrer en Séquanie (Franche-Comté), afin de porter plus facilement secours à la Province. Le chemin le moins dangereux pour lui était en effet par le haut Rhône. Comment se serait-il dirigé vers la Bourgogne, centre de l’insurrection ? Vercingétorix accourt avec une armée considérable pour l’arrêter ; un combat de cavalerie a lieu dans lequel les Gaulois sont défaits. Or sur la route d’Alaise, à peu de distance de la Saône se trouve le mont Colombin, où une légende populaire place encore aujourd’hui une rencontre sanglante entre César et les Gaulois : on y voit un lieu dit le Camp des avant-gardes et deux autres qui ont le nom de Bataille. De plus, un texte paraît décisif. Dion Cassius, historien consciencieux, qui a dû consulter, outre les Commentaires, d’autres récits des campagnes de César aujourd’hui perdus, tels que ceux de Tite-Live et de Nicolas Damascène, dit positivement : « Lorsque César était en marche pour secourir les Allobroges, Vercingétorix l’arrêta chez les Séquanais (en Franche-Comté) et l’enveloppa. »

En outre, Alaise, que des documents remontant au douzième siècle désignent constamment sous le nom d’Alesia, tandis qu’Alise n’est jamais appelée qu’Alisia, a été, suivant la tradition locale, une ville considérable. Ses anciens possesseurs étaient les Mandubiens, en gaélique man d’huib, près du Doubs ou rivière Sombre. Enfin les fouilles entreprises autour d’Alaise depuis 1857 ont mis au jour les traces les plus reconnaissables des travaux de siège des Romains ; sur une longueur continue de deux kilomètres autour du massif on a trouvé les débris charbonnés des fascines jetées dans les fossés pour arrêter les attaques des Gaulois. Ce n’est pas tout. Le pourtour entier d’Alaise est couvert de plus de vingt mille tumulus celtiques ; tous ceux qui ont été fouillés jusqu’ici sont le témoignage le plus irrécusable d’un massacre accompli à une époque avancée de la civilisation celtique, sur une armée dont la Gaule entière avait fourni le contingent ; des monticules composés uniquement de terre, de cendres et d’ossements brûlés ont révélé la sépulture des Romains. Un tesson de poterie gauloise trouvé dans un de ces tumulus porte l’inscription d’Alesi. La seule découverte remarquable des fouilles faites autour d’Alise a été celle de deux fossés dans la plaine des Laumes. Mais, outre qu’ils ne correspondent aucunement par leurs dimensions aux fossés décrits par César, ils se trouvent placés de telle sorte, que si Alesia s’était trouvé sur le mont Auxois, un combat de cavalerie entre plus de dix mille hommes, dont parle César, se serait livré dans un boyau de 500 mètres. Enfin on n’a trouvé a Alise que trois agglomérations de tumulus, d étendue mediocre et situées à l’opposite de la région cpii aurait dû être le théâtre des affaires du siège.

Les partisans d’Alise attachent pourtant peu d’importance aux découvertes faites à Alaise. « Faute de textes décisifs, disait M. Alfred Maury à l’Académie des inscriptions, en 1860, les partisans d’Alaise se sont rabattus sur des noms de lieux dits, ils ont invoqué la présence d’antiquités que l’ardeur à maintenir les prétentions de cette localité avait fait chercher et découvrir. On a bruyamment exploité ces soidisant témoignages, qui ne manqueraient à presque aucune contrée, puisque les Gaulois ont laissé sur tout le sol français la trace de leur existence. Qu’étaient-ce que ces débris antiques trouvés en si grande abondance sur le plateau d’Amancey, à Sarra et dans les campagnes voisines ? M. Ed. Clerc les a reproduits dans un album. Sont-ce là les dépouillés dont se trouva jonché le territoire de l’oppidum mandubien, après la défaite de Vercingétorix ? qui pourrait le soutenir quand il y a là des œuvres, des vestiges d âges fort différents, des restes appartenant aux populations diverses qui se sont succédé dans la contrée, et dont plusieurs sont bien antérieurs à César ? » Des fouilles entreprises par ordre de l’empereur au mont Auxois et dirigées par la commission de la Carte des Gaules, ont fait retrouver à Alise des vestiges que les partisans de cette ville ont regardé comme ceux du siège de César. Le sol livra des débris d’armes en bronze et d’un travail tout gaulois, tels que bouts d’épée, de lances, haches, anneaux, etc. ; on retrouva les traces d’un fossé de circonvallation et d’autres ouvrages de fortification ; on recueillit divers morceaux de fer fort oxydés et ayant l’aspect de clous longs et garnis d’un crochet, lesquels répondent aux ferrei hami, c’est-à-dire hameçons de fer dont César dit s’être servi au siège de la ville. Enfin les fouilles ont aussi amené la découverte de creusets et d’objets en argent plaqué, c’est-à-dire précisément de ces monuments de l’industrie que Pline signale comme ayant été particulière à Alesia. De plus une monnaie de plomb qui porte en abrégé les mots Pagus Alisiensis.

Pendant que les partisans d’Alise et d’Alaise se disputaient Alesia, survint une troisième opinion. M. Gravot, dans une brochure imprimée à Nantua en 1862, disait : « Il existe dans le Bugey, département de l’Ain, non loin de Nantua, un village du nom d’Izernore. Une ville du nom d’Alesia existait à Izernore, sur le plateau de Fossard, avant l’invasion romaine ; c’est là que Vercingétorix se présenta pour barrer la retraite à Jules César et après la défaite de l’armée gauloise à Bagé, c’est dans les environs de Nantua qu’elle se réfugia ; elle gagna Alesia, existant alors à Izernore. Cette ville est bien la véritable Alesia de César, puisque le texte des Commentaires concorde d’une manière frappante avec la topographie du pays, puisqu’une partie des ouvrages romains existe encore, et que les souvenirs du siège se trouvent rappelés par des noms significatifs. » Cette opinion a trouvé peu de partisans.