Ablution

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Ablution. Nous ne dirons point avec la hardiesse d’un savant moderne : Les ablutions sont en morale ce que les talismans sont en médecine. Il ne faut considérer ici que l’origine de cette cérémonie religieuse chez les anciens, et le but de son institution primitive. Établie d’abord par un motif d’utilité générale, la propreté du corps, tous les peuples la pratiquèrent bientôt ; et comme partout, chez, les adorateurs des faux dieux et dans le vrai culte, la purification du corps est le symbole naturel de celle de l’âme, l’usage fut donc de se laver avant les sacrifices. Profitant de cette coutume si nécessaire à la santé dans les pays chauds, les législateurs et les théurgistes en ont fait un acte religieux. Jacob, avant d’offrir un sacrifice à Rhétel, ordonne à ses serviteurs de se laver ; Moïse prescrivit aux Hébreux un grand nombre d’ablutions, et Jésus-Christ les a consacrées par le baptême.

Les mahométans ont emprunté cette pratique des Juifs : chez eux l’ablution précède toujours la prière ; ils ont à cet effet des fontaines dans les parvis de toutes les mosquées. On peut lire dans les Mœurs des Turcs comment leurs dogmes altèrent et dénaturent ce rit extérieur, qu’ils multiplient à l’infini, parce que la moindre circonstance, comme le cri d’un porc, l’approche d un chien, suffit pour neutraliser l’effet de l’ablution.

On sait que les païens pratiquaient aussi différentes espèces d’ablutions ; s’ils les tenaient des patriarches adorateurs du vrai Dieu, il faut convenir qu’ils en ont profané l’usage en leur attribuant une vertu que certes elles ne sauraient avoir.

Énée, tout fumant de carnage, se fait scrupule de toucher ses dieux pénates ; il commence d’abord par laver ses mains teintes de sang dans une eau vive.

Les eaux du fleuve lavaient-elles la propriété de purifier. Turnus de l’horrible massacre qu’il venait de faire des Troyens ? C’est le cas de s’écrier avec un autre poète : Hommes trop indulgents pour vous-mêmes, pensez-vous que des meurtres puissent être effacés par les ondes ? Le sixième livre de l’Énéide nous parle de plusieurs autres genres de purifications ablutoires. Horace nous représente une mère superstitieuse qui, à l’aide de l’ablution, espère ôter ou rendre à son gré la fièvre au jeune enfant qu’elle nourrit.

Les Lacédémoniens de Lycurgue plongeaient leurs nouveau-nés dans l’Eurotas, coutume qu’on retrouve aussi chez les Gaulois nos ancêtres ; et ce qui prouve que l’on ne devrait pas croire entièrement à la vertu des eaux, c’est qu’on ne peut attribuer qu’à cette pratique la difformité corporelle du célèbre Agésilas.

Nous pourrions citer encore divers peuples modernes qui emploient l’eau dans leurs purifications ; il en est même, tels que les Parsis et les Indiens, qui croient se purifier avec l’urine de vache. D’autres enfin sont convaincus du pouvoir magique d’une pièce d’or trempée dans l’eau. Mais tous ces exemples ont moins de force que ceux qui nous sont donnés chaque jour par les nations du Nord. Et, en effet, les ablutions juives et celles des Orientaux ne sauraient faire consacrer cet usage : parce que les disciples de Moïse et de Mahomet l’ont adopté, il ne s’ensuit point qu’il doive être universel. Sous des climats aussi brûlants, cette précaution est nécessaire, indispensable pour prévenir les maladies de la peau, et le fléau plus terrible encore de la peste. On sait que les croisés, qui négligèrent les précautions de propreté dans la Palestine, rapportèrent la lèpre en Europe. Notre fameuse expédition d’Égypte fut suivie des mêmes résultats. Déterminés par tous ces motifs, les législateurs hébreux et orientaux ont donc pu rattacher à des principes de religion un acte de propreté personnelle ; il entrait même dans leur politique de le consacrer comme une doctrine, pour que l’exécution en devint rigoureusement obligatoire.

Mais pourquoi les peuples du Nord ont-ils adopté cet usage comme le reste de la terre ? Pourquoi le Lapon et le Russe, au milieu de leurs glaces éternelles, reconnaissent-ils aussi le grand principe de l’ablution ?… Le premier réformateur des Moscovites, Pierre le Grand, ne put jamais cependant surmonter la crainte que lui inspirait l’aspect d’une vaste étendue d’eau. Mais il n’en était pas de même de ses sujets, ni des Suédois, leurs dignes rivaux de gloire ; d’où l’on doit conclure que les peuples les moins favorisés par le climat pensent au sujet des ablutions comme les nations les plus civilisées.

Il est de mode chez les chrétiens de tourner en ridicule toutes les superstitions païennes ; cependant ne leur devons-nous pas la plupart de nos cérémonies expiatoires, l’usage des bains, des purifications, des ablutions, et toutes nos imitations de l’eau lustrale des anciens ?

Dans tous les temps et chez tous les peuples, les ablutions religieuses ont été en usage ; l’église chrétienne n’a pu donc abolir un rit qui remonte au berceau du monde. Pendant les rogations, on bénit l’eau des puits, des citernes, des fontaines, des rivières et des sources, en priant le Seigneur d’en rendre l’usage salutaire aux fidèles. Pourquoi donc blâmer la crédulité des païens lorsqu’ils consacrent le culte de l’eau, lorsqu’ils peuplent les fleuves de divinités, qu’ils leur adressent leurs vœux et leurs hommages ? L’utilité générale de cet élément doit rendre au moins une telle erreur excusable.

Ce qui fait quelles ablutions n’ont point obtenu l’assentiment de quelques théologiens, c’est que, dans l’Écriture, on : compare quelquefois au débordement des ondes le fléau de la colère divine. Cependant les eaux désignent plus souvent les bienfaits de Dieu.

Chez les anciens, parotides poètes et les philosophes du paganisme, les eaux sont également prises dans un sens métaphorique et dans deux significations opposées. On connaît la victoire remportée par le dieu de Canope sur celui des Chaldéens ; dans le début de sa première Olympique, Pindare fait un éloge magnifique de l’eau.