Abeilles

  • Encyclopédie de famille

Abeilles. Ces insectes, de l’ordre des hyménoptères, si remarquables par leur industrie, leur amour de l’ordre et du travail, ont été de bonne heure réduits par l’homme à l’état de domesticité ; cependant on les rencontre encore à l’état sauvage dans différentes contrées, par exemple en Pologne et en Russie, où ils établissent leur demeure dans des arbres creux. Les abeilles sauvages sont toujours plus vigoureuses, plus velues, et d’une couleur plus foncée que les autres. Rien de plus admirable que l’intérieur d’une ruche. Les abeilles vivent réunies en sociétés nombreuses, qu’on appelle essaims, et composées chacune d’environ 20,000 abeilles communes ou ouvrières, de 1,600 mâles ou faux-bourdons, et d’une femelle qu’on nomme la reine ou la mère des abeilles. Les anciens, prenant les femelles pour des mâles, leur donnaient le titre de rois. Les abeilles communes ou ouvrières, qu’on appelle aussi neutres, forment la nation, construisent des cellules d’une manière régulière et symétrique, recueillent la cire et le miel, et nourrissent le couvain. Elles sont les plus petites de toutes et pourvues d’un aiguillon pour leur défense, d’une trompe avec laquelle elles recueillent le miel, et de deux estomacs, qui, outre les fonctions qu’ils remplissent chez tous les animaux, leur servent encore à la préparation de la cire et du miel. C’est avec la cire qu’elles bâtissent les cellules, dont le principal usage est de contenir les œufs pondus par la femelle ou la reine. Avec les brosses qui garnissent leurs longues pattes postérieures elles se nettoient et ramassent la poussière des fleurs en deux pelottes ou petites boules, qu’elles font entrer de force dans les palettes ou cuillerons striés transversalement dont sont extérieurement creusés la jambe et le premier article des tarses postérieurs. C’est alors que, les pattes chargées de ces poussières rouges, jaunes, vertes ou blanches, suivant la nature des plantes dont elles proviennent, les abeilles s’envolent vers la ruche. On a cru longtemps que cette poussière séminale des fleurs ainsi recueillie par les abeilles au moyen de leurs pattes de derrière était la matière de la cire. Les observations les plus récentes ont fait voir au contraire qu’elle servait à composer l’espèce de bouillie dont on nourrit les larves, et que la cire n’était autre chose que la matière sucrée altérée par la digestion dans un second estomac et expulsée soit par les anneaux, soit même par la bouche des insectes.

Les abeilles se nourrissent de liquides végétaux, et principalement de liqueurs sucrées. C’est du nectar des plantes qu’elles retirent, au moyen de leur trompe, un suc qui sera bientôt converti en miel ; et c’est principalement de celui qui est contenu dans certaines glandes des fleurs désignées par les botanistes sous le nom général de nectaire, qu’elles recueillent l’humeur sucrée. Elles avalent d’abord ce liquide, qui, transformé dans leur estomac, devient, lorsque l’abeille dégorge ce suc, un véritable miel, dont les femelles, les mâles et les neutres se nourrissent suivant leurs besoins. L’excédant est déposé dans les alvéoles vides, dont les parois ne permettent pas la transsudation, et qui sont formés d’un opercule de cire fermé hermétiquement, pour n’être ouverts que lorsque les besoins impérieux et l’impossibilité de trouver de la nourriture ailleurs forceront d’avoir recours à ces provisions.

Les mâles ou faux-bourdons sont plus grands que les ouvrières, mais ils n’ont point d’aiguillon, ne recueillent ni miel ni pollen, et se nourrissent au contraire des provisions amassées par les ouvrières. Après le mois d’août on ne trouve plus de mâles dans les ruches : ils ont été massacrés par les ouvrières ; et ce n’est qu’en avril et en mai suivant que, de nouveaux œufs ayant été pondus, on en voit reparaître, d’abord en petit nombre, et ensuite en grande quantité. Ils éclosent dans les ruches avant les reines, lesquelles ne sont pas moins impropres que les mâles à tout travail.

La reine est l’âme de l’essaim, et on n’en souffre jamais deux dans la même ruche. S’il en naît plusieurs dans un couvain, ou elles forment avec leurs partisans de nouveaux essaims, ou elles sont successivement mises à mort par celle qui est éclose la première. Le premier soin d’une reine-abeille en naissant est en effet d’aller aux cellules royales et de tuer les larves qui pourraient devenir ses rivales. Deux reines sortent-elles en même temps de l’alvéole, elles se livrent aussitôt un combat à outrance, auquel assistent les ouvrières. Si la plus faible essaye de chercher son salut dans la fuite, les ouvrières l’obligent à revenir au combat, dans lequel l’un des deux adversaires doit infailliblement trouver la mort.

Il se forme régulièrement tous les ans un nouvel essaim ; s’il s’en formait deux ou trois, cela ne serait pas avantageux, parce que les essaims seraient trop faibles. La reine est plus grande que les autres abeilles. Cinq ou six jours après sa naissance, ou un jour après qu’elle s’est établie dans une nouvelle demeure, à la tête d’une colonie, on la voit sortir. À son retour elle devient de la part des ouvrières l’objet de nouveaux soins et d’hommages. La reine pond dans chaque cellule un œuf, qui, lorsqu’il est éclos, est soigné par les ouvrières. Toutes les abeilles montrent un grand attachement pour elle ; et l’essaim tout entier se disperse ou meurt si quelque accident vient à la faire périr.

L’œuf déposé dans les cellules y éclot par la seule chaleur de la ruche. Un petit ver blanc en sort qui est nourri avec l’espèce de bouillie dont nous avons parlé. Il file une coque soyeuse dans laquelle il subit la transformation en chrysalide, puis enfin, parvenu à l’état d’abeille, il perce sa prison et commence son existence sociale. Dès qu’un grand nombre d’abeilles sont nées, l’habitation commune ne peut plus contenir tous les habitants. Une émigration devient alors nécessaire ; mais elle ne peut s’effectuer que lorsqu’une nouvelle reine, qui remplacera celle qui va partir en tête de la colonie, est sur le point d’éclore. Quelles que soient les incommodités résultant de cette nombreuse réunion, le départ est toujours retardé jusqu’à cette époque. À peine cet événement tant attendu est-il arrivé qu’un grand nombre d’abeilles, ayant à leur tête la vieille reine, abandonne l’habitation. Cette colonie errante prend le nom d’essaim ; les insectes qui la composent ne tardent pas à s’arrêter dans un endroit quelconque, souvent sur une branche d’arbre ; là ils forment une espèce de grappe ou de cône en se cramponnant les uns aux autres au moyen de leurs pattes. La femelle reste d’abord dans le voisinage, et ne se réunit à la masse que quelque temps après. C’est le moment que doit choisir l’éleveur d’abeilles pour s’emparer de l’essaim et le placer dans une demeure convenable.

Le départ est précédé de phénomènes assez singuliers et s’annonce par des signes non équivoques. Les mâles qui viennent de naître paraissent alors en grand nombre ; plusieurs milliers d’habitants, ne trouvant plus de place dans la ruche, se groupent par tas au dehors. Un bourdonnement particulier se fait souvent entendre le soir et la nuit dans l’intérieur de l’habitation, ou bien on y remarque un calme qui n’est pas ordinaire. Enfin, dès le matin du jour où la colonie doit s’expatrier, le calme est encore plus parfait, et le repos succède à l’activité générale qu’on remarquait la veille. Les abeilles qui doivent émigrer semblent ainsi attendre l’heure du départ, qui a ordinairement lieu vers le milieu du jour, par un temps chaud et un ciel pur. Il paraît aussi qu’elles jugent alors inutile d’entreprendre ou d’achever des travaux dont elles ne doivent pas jouir. La même inaction a lieu lorsqu’un essaim, après s’être établi dans une demeure et y avoir commencé quelques travaux, se décide à l’abandonner. Une ruche donne généralement pendant le printemps trois ou quatre essaims ; quelquefois cependant elle n’en fournit aucun : c’est lorsque les habitants sont en trop petit nombre. L’usage de poursuivre, en frappant sur des chaudrons, des casseroles, les essaims qui s’envolent, s’est perpétué jusqu’à nos jours. On en fait remonter l’origine à l’histoire fabuleuse de l’enfance de Jupiter, qui, placé par sa mère Cybèle dans a grotte Dictys du mont Ida, en Crète, y fut nourri par des abeilles, tandis que les Corybantes frappaient sur des instruments retentissants, afin que ses cris ne fussent pas entendus de son père Saturne. On a conseillé d’arrêter les essaims qui s’enfuient en leur tirant des coups de fusil chargés à poudre ; mais rien ne prouve l’efficacité de ce procédé. Les abeilles redoutent beaucoup la pluie, la grêle, et on cherche à forcer les essaims à suspendre leur fuite en leur jetant de la poussière, du sable fin, etc.

On introduit un essaim dans la ruche qu’on lui destine de plusieurs manières : on suspend la ruche au-dessus ; on frotte son intérieur avec des plantes odorantes, du miel, etc., ce qui détermine les abeilles à aller s’y établir. Quelquefois on attend que les abeilles soient engourdies par la fraîcheur du soir : alors on peut les prendre avec la main et les déposer dans la ruche renversée ; on la recouvre d’un drap, on la redresse et on la met en place. Le premier travail d’un essaim c’est d’enduire l’intérieur de la ruche d’une matière glutineuse, appelée propolis. Les abeilles travaillent ensuite à la confection des gâteaux.

Si une ouvrière étrangère ose pénétrer dans une ruche, elle est à l’instant mise à mort par celles qui font la garde. Les abeilles ont en effet de nombreux ennemis, contre les attaques et les embûches desquels il leur faut se défendre. Ce sont notamment les frelons, les guêpes, les souris, les teignes, les sphinx à tête de mort, adversaires tous plus redoutables et plus perfides les uns que les autres. Tous les moyens sont mis en usage pour s’opposer à leur entrée dans la ruche ; car une fois qu’ils ont réussi à y pénétrer, il est bien difficile aux abeilles de s’opposer à leurs dévastations. Elles n’ont plus alors d’autre parti à prendre que de fuir et de transporter ailleurs leur industrie. Les ouvrières sont les seuls combattants ; elles veillent sans cesse à la porte de la ruche, et font une reconnaissance scrupuleuse de tous les individus qui y entrent, en les touchant de leurs antennes.

Les abeilles sont sujettes à diverses maladies, et surtout à une espèce de dyssenterie qui les fait promptement périr. On combat cette maladie par de l’eau salée, ou mieux par un mélange de vin vieux, de miel et de sel. On a proposé divers moyens anesthésiques pour endormir les abeilles au lieu de les étouffer quand on veut s’emparer de leurs produits, méthode barbare et inintelligente qui diminue les produits au printemps suivant,, tandis que si l’on réunit la population de deux ruches, qui ne consomme guère plus pendant l’hiver que celle d’une seule, on a plus tard des essaims plus productifs.

On croyait autrefois qu’au mois de novembre les abeilles commençaient à s’endormir d’un sommeil hivernal ; on sait maintenant qu’elles ne s’engourdissent pas pendant la saison froide, et qu’elles consomment plus ou moins de leurs provisions suivant la température de la ruche. Plus les abeilles sont nombreuses, plus la ruche est naturellement chaude. Les allées et venues des abeilles dès qu’il fait un peu de soleil causent une déperdition de chaleur qu’elles remplacent par une plus grande consommation de miel. Celles qui restent tranquilles consomment moins. C’est ce qui a donné l’idée d’emprisonner les abeilles pendant la mauvaise saison, soit en grillageant l’entrée de la ruche, soit en enfermant celle-ci dans un endroit sombre, tel qu’un cellier, une cave, et même de les enterrer en silos. Mais si l’on arrive ainsi à économiser quelques produits, c’est souvent au détriment de la vigueur des abeilles, et l’on perd dix fois au printemps ce qu’on a épargné pendant l’hiver.

La piqûre des abeilles est fort douloureuse, et fait naître sur la peau des boutons qui occasionnent une cuisson brûlante. Lorsqu’elles sont multipliées ou qu’elles atteignent des parties délicates, elles peuvent amener la fièvre, les convulsions et même la mort. On calme les souffrances qu’elles produisent en retirant l’aiguillon, qui demeure souvent dans la plaie, et en faisant des onctions huileuses. Après l’extraction de l’aiguillon on peut aussi faire des fomentations à la glace, ou mieux encore avec l’extrait de Saturne, l’ammoniaque liquide, ou une dissolution de sel commun. Le docteur Robert Latour préconise contre les piqûres d’abeille l’application d’une couche de collodion rendu élastique par l’addition d’un dixième d’huile de ricin. Si une abeille avait été avalée, on devrait prendre une forte dissolution de sel marin qui la tuerait.

Les ruches d’abeilles sont considérées comme immeubles quand elles ont été placées dans un fonds par le propriétaire pour le service et l’exploitation du fonds même (art. 524 du Code Napoléon) ; aussi le propriétaire d’un essaim d’abeilles a-t-il le droit de le suivre partout et de le reprendre où il se trouve sans aucune permission du juge ; mais il faut que ce propriétaire n’ait pas cessé de poursuivre l’essaim pour constater que c’est bien le sien. Si cependant les abeilles se sont retirées dans les ruches du voisin, le propriétaire ne peut que les appeler à lui, sans avoir le droit de renverser la loge pour les y prendre. Lorsqu’un essaim s’arrête sur un héritage affermé sans être réclamé en temps utile, le fermier à le droit d’en jouir comme de cet héritage ; mais à la fin du bail il doit le laisser. Il n’est pas permis de troubler les abeilles dans leurs courses et leurs travaux, et même en cas de saisie légitime, une niche ne peut être déplacée que dans les mois de décembre, janvier ou février.

Les abeilles ont été portées en Amérique par les Européens. « On a remarqué, dit Chateaubriand, que les colons sont souvent précédés dans les bois du Kentucky et du Tennessee par des abeilles : avant-garde des laboureurs, elles sont le symbole de l’industrie et de la civilisation, qu’elles annoncent. Étrangères à l’Amérique, arrivées à la suite des voiles de Colomb, ces conquérantes pacifiques n’ont ravi à un nouveau monde de fleurs que des trésors dont les indigènes ignoraient l’usage ; elles ne se sont servies de ces trésors que pour enrichir le sol dont elles les avaient tirés. Les abeilles ont pourtant eu à repousser des myriades de moustiques et de maringouins, qui attaquaient leurs essaims dans le tronc des arbres ; leur génie a triomphé de ces envieux, méchants et laids ennemis. Les abeilles ont été reconnues reines du désert. »

À la Nouvelle-Zélande, les abeilles travaillent toute l’année et font deux sortes de miel : le miel de printemps ou d’été est liquide, le miel d’automne ou d’hiver est solide et complètement cristallisé. Ce miel est fort beau, mais varie de caractère suivant les plantes du district ; celui du sud est généralement meilleur que celui du nord, à cause de la plus grande abondance de plantes et de fleurs. L’Australie produit aussi du miel. On y trouve une abeille indigène qui est solitaire, et ne fait qu’une alvéole, dont une moitié est l’emplie de cire et l’autre moitié de miel.

À la suite du concours agricole universel de 1856, il s’est formé à Paris une société d’apiculture qui ouvre des expositions, tient des congrès et s’occupe de la propagation de cette industrie.

Malgré la dépréciation que les inventions du sucre de betterave et des bougies stéariques ont amenée dans la valeur des produits de l’abeille, le miel et la cire, le Jardin d’acclimatation ne pouvait omettre ce précieux insecte dans ses essais. Il s’est appliqué à acclimater l’abeille jaune des Alpes, dite abeille ligurienne. Cette abeille paraît plus active et aussi plus pillarde que l’abeille commune ; elle est d’un caractère plus décidé, plus entreprenant que l’abeille noire ; elle est aussi plus vigilante : elle garde mieux sa porte contre les ennemis du dehors, elle défend et protège mieux ses édifices et ses nourrissons contre les ennemis du dedans, la fausse teigne. Elle a plus d’odorat que l’abeille indigène, et s’établit volontiers au milieu d’une colonie noire. Cette abeille s’est acclimatée au bois de Boulogne, quoique plusieurs colonies aient été atteintes d’une maladie dangereuse. Il s’y est produit une abeille métisse encore plus active que l’abeille des Alpes.