Xeirscopie

  • Dictionnaire infernal

Xeirscopie. Voici sur ce sujet de charmants extraits d’un spirituel écrit de M. Munier des Closeaux :

« Xeirscopie, de xeir, main, et scopeô, j’examine. Les lecteurs sont priés de supposer que les deux mots xeir et scopeô sont écrits en langue grecque, ainsi qu’ils ont droit de l’être ; nous avons mille raisons pour les écrire en lettres ordinaires ; la première et la meilleure de ces mille raisons, c’est celle qui fait qu’on ne tire pas le canon dans les villes qui n’ont pas de canons.

« La signification positive de xeirscopie est donc examen de la main ; mais il en est du mot xeirscopie comme du mot cranioscopie, qui signifie proprement examen, inspection du crâne, et qui, par extension, veut dire aussi art de reconnaître le développement des parties du cerveau, des organes particuliers, ou des conditions matérielles de l’intelligence, d’après la configuration extérieure du crâne. Xeirscopie ne veut pas dire seulement examen, inspection de la main ; il signifie encore l’art de connaître le caractère des hommes d’après la conformation dé leur main.

« La xeirscopie est donc un système de physiognomie à ajouter au système de Lavater et à celui de Gall.

« Au premier coup d’œil, nous avons considéré la xeirscopie comme une plaisanterie ; il a dû en être de même des doctrines de Lavater et de Gall à leur origine. On en a ri beaucoup avant de les élever à l’état de science ou de quasi-science ; mais un examen attentif nous a prouvé que l’inventeur de la nouvelle doctrine prend la chose au sérieux ; c’est très sérieusement qu’il prétend trouver dans les différentes parties dont se compose une main des indications aussi nombreuses, aussi variées, aussi certaines que peut en fournir la configuration d’un crâne plus ou moins bossue.

« L’inventeur de la nouvelle doctrine a des titres qui doivent inspirer la confiance, les voici avec ses noms et prénoms : W.-F. Sargenkœnig, docteur en médecine de l’université de Wurlzbourg, conseiller et professeur de physiognomonique à l’université d’Iéna, membre de toutes les académies d’Allemagne et de plusieurs autres sociétés savantes. Après cela, croyez si vous voulez. Au fait, nous ne voyons pas pourquoi des passions qui se trahissent sur la boîte osseuse qui leur sert de domicile ne viendraient pas aussi révéler leur existence par quelques modifications dans la conformation de l’organe qui leur sert d’agent principal et plus habituel.

« Dans notre siècle de lumières, on ne croit plus aux sorciers ; on traite de fables ridicules les prédictions faites par des sorciers d’une autre époque, au moyen d’un examen attentif de la paume de la main. Il est prouvé pourtant, à en croire les almanachs, que beaucoup de prédictions de ce genre se sont réalisées.

« Ainsi, la mulâtresse qui, après avoir examiné la main de la belle et gracieuse créole de la Martinique, lui prédit qu’elle serait un jour plus que reine, c’est-à-dire impératrice des Français, reine d’Italie, et, par alliance, protectrice de la confédération du Rhin et médiatrice de la confédération suisse, n’était pas, comme on l’a toujours dit, une vieille sorcière tannée, mais bien une xeirscope naturelle, possédant la xeirscopie par intuition. Au train dont vont les choses, bien d’autres mystères seront certainement éclaircis. On ne s’est pas arrêté à Lavater, Gall est venu à son tour ; on ne s’est pas arrêté à la phrénologie ; voici venir le savant docteur W.-F. Sargenkœnig ; on ne s’arrêtera pas à la xeirscopie. Un petit os de quelques lignes suffisait à Cuvier pour recomposer un animal antédiluvien ; un jour peut-être il suffira d’un fragment d’os pour faire, en ce qui concerne l’homme et sous le rapport moral, ce que Cuvier n’a jamais prétendu faire que pour les animaux, et seulement au physique. Quel siècle que notre siècle !

» Le docteur Sargenkœnig prend pour point de départ une passion bien commune, presque générale ; la colère ; en latin ira ou furor brevis. Qu’est-ce que la colère ? C’est une passion violente dont les caractères les plus saillants sont l’accélération du cours du sang et de la respiration, une coloration très vive de la face, avec des yeux étincelants joints à l’expression menaçante de la voix et des gestes (n’oublions pas et des gestes) ; ou bien, pâleur de visage, tremblement involontaire, altération de la voix, etc., etc. Tous ces phénomènes sont l’effet de l’état d’excitation violente dans lequel est entré le cerveau, à l’occasion d’une cause quelconque. Celte définition de la colère est toute médicale. Suivant les crânioscopes, l’état d’excitation violente dans lequel entre le cerveau, s’il se prolonge ou s’il se renouvelle fréquemment, produira à la longue une bosse au crâne, Quelle bosse ? Nous n’en savons vraiment, rien, mais enfin nous acceptons la bosse. Mais dans la colère, il y a expression menaçante de la voix et du geste ; quel est l’organe principal du geste ? n’est-ce pas la main ? Dans la colère, la main ne se crispe-t-elle pas ? L’homme en colère ne ferme-t-il pas la main, ne roidit-il pas le poing comme s’il voulait frapper quelqu’un ou quelque chose ? Ces données admises, et elles ne peuvent pas ne pas l’être, l’homme qui aura fait une étude particulière de la main ne pourra-t-il pas découvrir dans la conformation, de cet organe chez une personne si elle se met habituellement en colère ? En ce qui concerne la colère, il saute aux yeux de tout le monde que la xeirscopie offre des indications bien autrement certaines, bien autrement saisissables que la crânioscopie.

« Maintenant et pour l’utilité d’application, le docteur Sargenkœnig prouve sans peine que la xeirscopie laisse bien loin derrière elle son aînée. Jadis, avant de se lier avec une personne, on prenait la peine d’étudier son caractère, ses mœurs, ses habitudes ; tout cela est maintenant inutile ; la nature a pris soin de nous tout révéler ; si nous sommes trompés, c’est que nous le voulons bien. Et pourtant on ne peut guère dire à une personne avec laquelle on veut former une liaison : Je me sens disposé à vous aimer ; vous avez, suivant Lavater, une physionomie fort heureuse ; mais pour être plus sûr de mon fait, permettez que je vous tâte le crâne ; si vous n’avez aucune protubérance fâcheuse, je vous accorderai mon estime et vous demanderai votre amitié. Avec la xeirscopie, il suffit d’une poignée de main artistement donnée.

« Vous voulez vous marier. En pareil cas, de part et d’autre ; on dissimule le plus habilement possible ses défauts ; le jeune homme est prévenant, affectueux ; la demoiselle fait patte de velours avec infiniment de grâce. Dans une pareille circonstance, impossible encore de tâter mutuellement le crâne ; mais il est toujours permis au fiancé de prendre la main de sa fiancée ; il peut, sans manquer aux règles de la décence, explorer doucement la face palmaire, l’éminence thénar et l’éminence hypothénar, la face dorsale, etc., etc. Il y a tel signe auquel on peut infailliblement reconnaître que l’un des deux époux sera égratigné avant la fin de la lune de miel.

« Les préjugés ne sont pas tous menteurs. On croit généralement que dans la cérémonie du mariage, si la jeune ou vieille épouse, au moment où le marié lui passe l’anneau au doigt annulaire, ou au quatrième des prolongements de l’extrémité du membre pectoral, parvient à fermer le doigt assez tôt pour que l’anneau ne franchisse pas la dernière phalange, elle sera maîtresse de la maison. Ce préjugé n’en est pas un. Ce mouvement instinctif du fléchisseur du quatrième prolongement de l’extrémité du membre pectoral est très clairement expliqué comme effet physique d’une cause morale dans le traité de xeirscopie du docteur Sargenkœnig. En huit pages, le docte professeur démontre que cette action rapide du fléchisseur particulier du quatrième doigt prouve une grande fermeté de caractère et beaucoup d’énergie et d’obstination dans la volonté.

« Comme étude, la crânioscopie est auprès de la xeirscopie un enfantillage. On peut devenir crânioscope sans connaître le moins du monde l’anatomie ; la besogne d’ailleurs est toute mâchée : avec une tête de carton verni sur laquelle sont indiquées des cases soigneusement marquées par des numéros, on peut tout apprendre. Il n’en est pas de même en xeirscopie ; c’est une étude longue, patiente, qui nécessite des connaissances préliminaires. Dans la pratique, il faut de l’aptitude et beaucoup de tact. En s’intitulant phrénologues, les crânioscopes ont quelque peu étendu leur domaine, mais en définitive tout chez eux se réduit à des bosses plus ou moins prononcées. Les coryphées de la science, les docteurs, les professeurs ont pu éprouver le besoin de pénétrer plus avant dans les mystères, d’assigner une place distincte à chaque passion, à chaque penchant, à chaque sensation ; mais cette besogne primordiale terminée, la science s’est trouvée crée tout entière ; elle a été livrée sans réserve à la pratique. Quelle différence en ce qui concerne la main ! là, pas de bosses, pas de cavernes, mais des détails infinis à étudier. C’est à ce point que nous sommes contraint d’avouer qu’en lisant l’ouvrage, trop savant selon nous, du docteur Sargenkœnig… nous nous sommes perdu cent fois au milieu de ses descriptions anatomiques. Les crânioscopes auront beau faire, ils auront beau prendre des crânes monstrueux et en multiplier les divisions, ils n’arriveront jamais à y placer toutes les opérations, bonnes ou mauvaises, de l’intelligence humaine. Dans une main, au contraire, il y a place pour tout.

« Prenez la paume de la main, ou, pour parler correctement, la face palmaire. Cette partie de la main qui se termine à son extrémité supérieure à l’attache, des premières phalanges, à son extrémité inférieure à l’articulation corpo-brachiale, d’un côté à l’éminence thénar, de l’autre à l’éminence hypothénar, n’a pas, chez les hommes les plus herculéennement constitués, plus de trois pouces carrés d’étendue, et elle contient un monde de passions, de désirs, de penchants vertueux ou criminels. L’éminence thénar seule, c’est-à-dire cette grosseur qui a le pouce pour prolongement, compte douze muscles au moins qui viennent s’y rattacher et s’y confondre. Un de ces muscles, par une saillie imperceptible à l’œil, mais reconnaissable au toucher d’une main exercée, révèle chez celui qui peut offrir cet heureux indice le don de l’éloquence au plus haut degré. Comment l’éloquence va-t-elle se nicher là ? Pour vous l’expliquer, il faudrait vous conduire à travers un labyrinthe inextricable, dans lequel nous nous sommes perdu le premier : nous aimons mieux vous engager à croire le docteur Sargenkœnig sur sa parole. D’ailleurs des planches sont jointes au texte du livre ; et quand vous aurez vu l’éminence thénar de Pitt mise à nu, et que vous l’aurez comparée à celle d’un homme ordinaire, il vous sera loisible, comme à nous, de croire sans comprendre.

« Le docteur Sargenkœnig a enrichi, à ce qu’il paraît, le musée de l’université d’Iéna d’une nombreuse collection xeirscopique ; il a fourni des mains prises dans toutes les conditions sociales ; nous regrettons que celle de Napoléon manque : nous aurions aimé à voir expliquer parle professeur comment cette main si blanche, si douce, aux muscles si peu accusés, pouvait indiquer une aussi grande puissance de volonté, tant de génie, tout ce que les phrénologues enfin ont trouvé dans la tête du grand homme. Le docteur s’en serait tiré, nous n’en doutons pas, car il se tire de tout à sa satisfaction. Mais il n’hésite pas à le déclarer, les mains reproduites en plâtre ne lui fournissent que des indications fort incertaines. La xeirscopie ne s’exerce avec avantage que sur la main naturelle et vivante ; pour elle, les secrets de la nature doivent être pris sur le fait ; elle laisse à la crânioscopie les bosses permanentes.