Usure

  • Jurisprudence et Économie politique
  • Émile Boucher
  • Encyclopédie moderne

Usure. Pris dans son sens propre, le mot usure signifie le prix que perçoit le préteur d’une somme d’argent pour indemnité des bénéfices qu’il eût pu tirer de ses fonds s’il en eût conservé l’usage. Pourquoi ce mot est-il devenu en quelque sorte odieux ? pourquoi ne réveille-t-il plus aujourd’hui dans l’esprit que l’idée d’un gain illégal, exorbitant ? C’est ce qu’un aperçu économique va nous faire comprendre.

Science née d’hier, l’économie politique n’avait pas encore formulé ses plus simples notions ; l’on ignorait la nature, les fonctions, l’utilité d’un capital. Si le prêteur imposait une redevance à un emprunteur, cela passait pour une extorsion du riche sur le pauvre. L’épargne des capitaux passait pour avarice nuisible au public, qui tenait pour perdus les revenus non consommés ; ce préjugé insigne, qui règne encore aujourd’hui sur beaucoup d’esprits, était général autrefois, et partagé même par les prêteurs. Les lois ecclésiastiques et les lois civiles, à plusieurs époques, proscrivirent le prêt à intérêt, et ce trafic fut réputé infâme pendant de longues années.

Plus tard, une connaissance plus exacte des lois économiques effaça cette infamie, et le prêt à intérêt fut dès lors envisagé sous un tout autre point de vue.

Nous ne voulons pas entrer à ce sujet dans de plus grands développements, poser la thèse économique dans toute sa rigueur et la discuter, pour aborder ensuite la contre-partie de la question. Il suffit de résumer succinctement les raisons de ceux qui prétendent affranchir de toute restriction le profit à tirer du prêt d’un capital, de dire ensuite, les raisons qui ont décidé le législateur à fixer des limites au taux de l’intérêt, et enfin de conclure par l’exposé sommaire de la loi du 3 septembre 1807, qui règle les conditions du prêt.

Si donc nous nous plaçons au point de vue économique, notre raisonnement se réduira à ces termes fort simples. Le principe étant posé que l’argent est une marchandise, un outil de production, un instrument de travail économique, il doit être loisible an propriétaire de cette marchandise, de cet outil, de cet instrument, de le vendre ou d’en louer l’usage à telles conditions qu’il juge convenables, le prix étant librement débattu entre l’acheteur elle vendeur, entre le prêteur et l’emprunteur. Le reproche d’avarice et d’immoralité adressé an prêteur est dès lors un reproche insensé, N’a-t-il pas le droit de tirer du prêt de ses capitaux, qui peut-être eussent fructifié entre ses mains, et qu’une gestion malhabile peut frapper de stérilité, n’a-t-il pas le droit d’en tirer une compensation, une équitable indemnité, tout comme il tire un loyer de ses terres, un salaire légitime de son industrie ? Puis enfin, la concurrence n’offrira-t elle pas un puissant correctif à l’avidité de ce prêteur, et ne maintiendra-t-elle pas l’intérêt de l’argent à un niveau suffisamment bas, pour être accessible à tous, et dans un équilibre presque stable ?

Ces données économiques sont incontestables ; mais, suivant le milieu qu’ils pénètrent, les principes de la science subissent, comme les rayons lumineux, une plus ou moins grande réfraction.

Si l’argent n’était réellement dans tous les cas qu’un outil, qu’un instrument, qu’un agent de production, certes il faudrait affranchir de toute entrave la circulation de ce capital, et proclamer la liberté des conventions en matière de prêt Nous croyons qu’il n’en est pas ainsi ; nous croyons que le prêt, à le considérer dans une pure abstraction, doit être essentiellement gratuit. Non pas qu’il nous paraisse devoir être un simple office d’amis, un pur acte de bienfaisance ; mais nous pensons, avec la loi de 1807, que le taux de l’intérêt à retirer du capital prêté doit être limité, en raison même de données économiques plus sainement interprétées et mieux accommodées, ce nous semble, aux circonstances présentes.

Nous accordons qu’instrument d’utilité générale, que simple marchandise, l’argent peut être prêté à intérêt, et qu’il est loisible au prêteur de tirer du loyer de son capital un bénéfice, une indemnité quelconque ; et c’est précisément pour que l’usage de ce capital devienne général, pour que sa circulation soit plus rapide, pour qu’il répande partout sa fécondité, c’est précisément pour tous ces motifs réunis qu’il ne faut pas que son prix, que sa cherté, en un mot, le rende inaccessible aux petits producteurs elle concentre entre les mains de ces accapareurs de numéraire qu’on appelle capitalistes ou banquiers.

Sous ce point de vue, l’argent peut être comparé au blé, qui, bien qu’évidemment produit et marchandise, est, en raison de son importance, soumis, dans tous les États civilisés, à des lois qui en régissent plus ou moins rigoureusement le commerce.

Ces principes ont sans doute présidé à la rédaction de la loi du 3 septembre 1807 ; en juillet et décembre 1850 ils ont certainement motivé son maintien. La discussion d’une proposition de M. de Saint-Priest, relative à l’usure, semble avoir prouvé que l’emprunteur ne pouvait être abandonné à la liberté des transactions, et que la loi du 3 septembre 1807, point d’intersection entre les deux systèmes qui viennent d’être exposés, conciliait aussi heureusement que possible les intérêts du prêteur et ceux de l’emprunteur. Ainsi le taux de l’intérêt reste limité à cinq pour cent en matière civile, à six en matière commerciale. S’il est prouvé que le prêt conventionnel a été fait à un taux excédant celui qui est fixé par fa loi, le prêteur doit restituer cet excédant : c’est l’objet de l’article 1er. L’art. 2, enfin, définit le délit d’usure, et établit la compétence des tribunaux correctionnels, devant lesquels sont renvoyés ceux qui se livrent habituellement à l’usure, pour y être condamnés, aux termes de la nouvelle loi du 19 décembre 1850, à un emprisonnement de six jours h six mois et à une amende qui peut s’élever jusqu’à la moitié des capitaux prêtés. L’art. 3 punit la récidive et la fait résulter exceptionnellement d’un fait postérieur d’usure, fût-il unique : dans ce cas, le coupable doit être condamné au maximum et peut l’être jusqu’au doubla des peines. Les tribunaux peuvent en outre, suivant la gravité du cas, ordonner l’affiche du jugement et son insertion dans les journaux. (Voyez d’ailleurs : Prêt).

Bentham, Défense de l’Usure, in-8o.

Chardon, De l’Usure, 1823, in-8o.

Cotelle, Traité des Intérêts, 1826, in-12.

Petel, De l’Usure, etc., 1840, in-8o.