Quakérisme

  • Histoire religieuse
  • Charles Cassou
  • Encyclopédie moderne

Quakérisme. Du temps de Cromwell deux fanatiques, John Lilburne et James Nayler, entraient à Bristol avec une foule d’acolytes, et se présentaient tout nus dans un marché public, en criant : « Saint, saint, saint, Hosanna dans les cieux ! » Ce sont là les ancêtres des pacifiques et honnêtes sectaires que la tradition, en dépit du nom d’Amis qu’ils se donnent eux-mêmes, a nommés Quakers. Cedernier nom, qui signifie trembleurs, fut une vérité à l’origine de la secte ; il indiquait les contorsions , les convulsions bizarres qui paraissaient faire le fonds des pratiques religieuses de ses adhérents. Au milieu de l’anarchie de doctrines et de cérémonies qui signala en Angleterre le passage des indépendants au pouvoir, les quakers se firent remarquer entre tous par l’extravagance de leurs discours et de leurs jongleries. Les ouvrages de Georges Fox, l’organisateur plutôt que le fondateur de la secte, témoignent encore des bizarreries et de l’esprit exalté des premiers quakers. Guillaume Penn lui-même, devenu depuis le modèle des vertus paisibles et modérées, n’y échappa pas dans sa jeunesse.

A cette époque l’Amérique était le grand exutoire religieux ; persécutées ou à l’étroit dans l’ancien monde, toutes les sectes venaient y étendre leurs rameaux au grand air de la liberté, et réaliser leurs plans de vie nouvelle. Les quakers s’embarquèrent donc pour le nouveau monde ; mais ils y arrivaient précédés par leur réputation d’excentricité et d’extravagance, et ils n’eurent pas plus tôt abordé en juillet 1656, que l’autorité de Massachusetts les fit conduire en prison, et s’empara de leurs papiers et de leurs livres, dont quelques-uns furent brûlés par la main de l’exécuteur public. Après quelques semaines d’une réclusion absolue, le capitaine de vaisseau qui les avait amenés fut obligé de les reconduire à ses frais en Europe.

Le mauvais succès de cette première expédition n’arrêta pas les émigrations ; mais elles se dirigèrent dès lors vers Rhode-Island, d’où elles ne tardèrent pas à se répandre dans la Nouvelle-Angleterre. Les femmes avaient une grande influence parmi les quakers, et ce furent elles qui dirigèrent toutes leurs émigrations, à l’exception de celle qui s’établit plus tard en Pensylvanie. La célèbre Dorothée Waugh était à la tête de celle qui vint s’établir à Rhode-Island. Dans le voyage il y avait eu un instant critique, et au plus fort du danger une voix puissante, qui n’était autre que celle de la prophétesse, s’était fait entendre, et avait dit : « Vous vous multiplierez en Amérique comme le sable de la mer ». La prédiction eut d’abord quelque peine à s’accomplir, car aussitôt que les quakers essayèrent de pénétrer à Boston, l’emprisonnement et les verges les y accueillirent ; chassés sans cesse ils revenaient toujours, et les gouverneurs de Massachusetts ne virent pas d’autre moyen pour arrêter l’invasion de ces fanatiques, que de décréter la mort contre les récalcitrants. Ils le firent donc, mais avec cette considération, d’une subtilité cruelle, que la mort n’était pas prononcée à cause des doctrines, mais pour rupture de ban.

Toutefois, rien ne pouvait arrêter l’exaltation des quakers. « Nous ne demandons pas mieux que d’obéir aux lois, disaient-ils, lorsqu’on les ramenait hors des limites de l’État ; mais quand Dieu nous envoie, il faut bien que nous marchions. » Empruntant le langage de Jérémie, un prédicateur s’écriait : « Boston est maintenant comme une feuille desséchée et sans séve. Comment s’est éclipsée ta beauté, ô toi qui étais la plus fameuse parmi les nations. » Élisabeth Horton courait nuit et jour dans les rues en criant : « Voici le Seigneur qui vient avec le feu et le glaive pour juger la ville. »

A ces exagérations du fanatisme religieux, les Bostoniens répondirent par un redoublement de rigueur. Les procès se multiplièrent ; quoique les quakers ne se cachassent guère, on les rechercha avec passion ; le soupçon tomba sur les individus les plus inoffensifs. Quelqu’un portait-il le fameux chapeau à larges bords, s’avisait-il de tutoyer un ami, c’étaient là des preuves manifestes de quakerisme. Un accusé s’était servi du funeste tu pour répondre à l’interpellation des magistrats. « A quoi bon l’examiner plus longtemps ? s’écrièrent ceux-ci : vous le voyez, il est quaker ; » et ils le condamnèrent. Un autre demandant sur quels indices on l’accusait. « Ne voyons-nous pas votre chapeau ? » lui dit-on.

L’autorité de Massachusetts fut donc souvent cruelle. Plusieurs quakers furent fouettés, marqués au fer rouge, quelques-uns eurent les oreilles coupées, d’autres périrent sur l’échafaud. Mais rien ne pouvait maîtriser l’élan de leur foi. Les persécutions venaient pourtant de se ralentir un peu sur les ordres de la mère patrie, lorsque William ou Guillaume Penn arriva dans le district auquel il devait donner son nom avec une forte colonie. Fils d’un homme qui s’étaiL distingué comme amiral de Cromwell, et versé lui-même dans l’étude des sciences, cet illustre quaker, après avoir partagé dans sa jeunesse les extravagances de ses coreligionnaires, s’était fait le réformateur de sa secte, et l’avait ramenée à cette modération et à cette vie de vertus calmes qui sont le trait distinctif de la société des Amis. Pendant quelque temps on avait accusé sa tiédeur et ses complaisances envers Charles II et Jacques II, dont il était devenu le familier. Mais toute estime lui fut rendue quand on le vit profiter de cette amitié pour obtenir en faveur de ses coreligionnaires un établissement avantageux sur les côtes de l’Amérique. En 1682 Guillaume Penn alla, avec deux mille émigrants, prendre possession des terres qui s’étendent du 40e au 43e degré de latitude, et comprennent cinq degrés de longitude entre Delaware et Newcastle, Huit mille deux cents émigrants l’y avaient précédé. Le code qu’il leur donna passe pour un modèle de législation utile et équitable.

Produit extrême du mouvement ultra protestant, les quakers, en revenant de leur fanatisme, restèrent les sectaires les plus indépendants de la doctrine chrétienne. Ils n’admettent encore aujourd’hui ni types de sainteté, ni rites, ni sacerdoce, ni sacrements, ni baptême, ni cène ; ils repoussent aussi la prédestination de Calvin. Toute leur religion avant le schisme qui s’est déclaré depuis peu, et qui les a conduits à l’unitarisme, se réduisait à la croyance en un Dieu en trois personnes. Les quatre maximes fondamentales du quakérisme sont toutes négatives. La première déclare l’autorité incompétente dans les discussions de croyance, la seconde repousse le serment, la troisième ta guerre, la quatrième le salaire des ministres du culte. Ce symbole est simple et explicite ; mais à défaut de corps de dogme, les quakers ont un costume, et nous sommes un peu à leur égard comme les magistrats de Boston : c’est à leur chapeau que nous les reconnaissons.

A la place des croyances flottantes, les quakers ont des vertus solides, une robuste bonne foi, l’économie, la pureté des mœurs, ces gardiennes des États et des familles ; une discipline admirable entretient chez eux, depuis près de deux siècles, la richesse el l’harmonie. Travailleur actif et infatigable, l’Ami a pris à la lettre cet adage de nos époques laborieuses time is money auquel il ajoute celui ci : « La fortune fait le bonheur et la moralité. » La plupart des quakers sont riches à millions ; mais aussi sobre qu’il est riche, ou plutôt riche parce qu’il est sobre, le quaker meurt au magasin ou au chantier, comme le soldat à la bataille. Tout en se permettant tout confort de la vie, il repousse le jeu et le luxe ruineux des chiens, des chevaux, des spectacles. Depuis quelques années seulement les quakeresses ont commencé a laisser glisser quelques fleurs dans leurs cheveux, et à remplacer timidement par des chapeaux et des étoffes de soie la coiffe noire et le tablier de toile de leurs bonnes aïeules.