Le vampire de Kisilova

  • Dictionnaire infernal

Kisilova (le vampire de). Le marquis d’Argens, qui n’était pas un homme crédule, raconte, dans sa cent trente-septième lettre juive, une histoire de vampire qui eut lieu au village de Kisilova, à trois lieues de Gradisch. Ce qui doit le plus étonner dans ce récit, c’est que d’Argens, alors incrédule, ne met pas en doute cette aventure :

On vient d’avoir en Hongrie, dit-il, une scène de vampirisme qui est dûment attestée par deux officiers du tribunal de Belgrade, lesquels ont fait une descente sur les lieux, et par un officier des troupes de l’empereur, à Gradisch : celui-ci a été témoin oculaire des procédures. Au commencement de septembre mourut, dans le village de Kisilova, un vieillard âgé de soixante-deux ans. Trois jours après qu’il fut enterré, il apparut à son fils pendant la nuit et lui demanda à manger. Celui-ci l’ayant satisfait, le spectre mangea ; après quoi il disparut. Le lendemain, le fils raconta à ses voisins ce qui lui était arrivé. Le fantôme ne se montra pas ce jour-là ; mais trois nuits après, il revint demander encore à souper. On ne sait pas si son fils lui obéit encore ou non ; mais on le trouva le lendemain mort dans son lit. Le même jour, cinq ou six personnes tombèrent subitement malades dans le village, et moururent l’une après l’autre en peu de temps. Le bailli du lieu, informé de ce qui se passait, en fit présenter une relation au tribunal de Belgrade, qui envoya à ce village deux de ses agents, avec un bourreau, pour examiner l’affaire. Un officier impérial s’y rendit de Gradisch, pour être témoin d’un fait dont il avait si souvent ouï parler. On ouvrit les tombeaux de tous ceux qui étaient morts depuis six semaines. Quand on en vint à celui du vieillard, on le trouva les yeux ouverts, d’une couleur vermeille, ayant une respiration naturelle, cependant immobile et mort : d’où l’on conclut que c’était un insigne vampire. Le bourreau lui enfonça un pieu dans le cœur ; on fit un bûcher et l’on réduisit en cendres son cadavre. On ne trouva aucune marque de vampirisme ni dans le corps du fils, ni dans celui des autres morts.

« Grâces à Dieu, ajoute le marquis d’Argens, nous ne sommes rien moins que crédule ; nous avouons que toutes les lumières de la physique que nous pouvons approcher de ce fait ne découvrent rien de ses causes : cependant nous ne pouvons refuser de croire véritable un fait attesté juridiquement et par des gens de probité. »