Katakhanès

  • Dictionnaire infernal

Katakhanès. C’est le nom que les habitants de l’îlе de Candie donnent à leurs vampires. En aucune contrée du Levant la croyance aux vampires ou katakhanès n’est aussi générale que dans cette île, où l’on croit aussi aux démons des montagnes, de l’air et des eaux. Voici un fait raconté il n’y a pas longtemps à un voyageur anglais[1] :

« Un jour, le village de Kalikrati, dans le district de Sfakia, fut visité par un katakhanès ; les habitants s’efforcèrent de découvrir qui il était et d’où il venait. Ce katakhanès tuait non-seulement les enfants, mais encore les adultes, et il étendait ses ravages jusqu’aux villages des environs. Il avait été enterré dans le cimetière de l’église de Saint-Georges à Kalikrati, et une arcade avait été construite au-dessus de sa tombe. Un garçon, gardant ses moutons et ses chèvres auprès de l’église, fut surpris par une averse et vint se réfugier sous cette arcade. Après avoir ôté ses armes pour prendre du repos, il les posa en croix à côté de la pierre qui lui servait d’oreiller. La nuit était venue. Le katakhanès, sentant alors le besoin de sortir, dit au berger : — Compère, lève-toi de là ; car il faut que j’aille âmes affaires. Le berger ne répondit ni la première fois, ni la deuxième, ni la troisième. Il supposa que le mort inhumé dans cette tombe était le katakhanès, auteur de tous les meurtres commis dans la contrée. En conséquence, la quatrième fois qu’il lui adressa la parole, le berger répondit : — Je ne me lèverai point de là, compère, car je crains que tu ne vailles pas grand’chose ; et tu pourrais me faire du mal ; mais s’il faut que je me lève, jure par ton linceul que tu ne me toucheras pas ; alors je me lèverai.

« Le katakhanès ne prononça pas d’abord les paroles qu’on lui demandait ; mais le berger persistant à ne point se lever, il finit par faire le serment exigé. Sur cela le berger se leva et ôta ses armes du tombeau ; le katakhanès sortit aussitôt ; après avoir salué le berger, il lui dit : — Compère, il ne faut pas que tu t’en ailles ; reste assis là ; j’ai des affaires dont il est nécessaire que je m’occupe ; mais je reviendrai dans une heure, et je te dirai quelque chose.

« Le berger donc attendit ; le katakhanès s’en alla à environ dix milles de là, où vivaient deux jeunes époux nouvellement mariés ; il les égorgea tous deux. À son retour, le berger s’aperçut que les mains du vampire étaient souillées de sang, et qu’il rapportait un foie dans lequel il soufflait, comme font les bouchers, pour le faire paraître plus grand. — Asseyons-nous, compère, lui dit le katakhanès, et mangeons le foie que j’apporte. — Mais le berger fit semblant de manger ; il n’avalait que le pain et laissait tomber les morceaux de foie sur ses genoux.

« Or, quand le moment de se séparer fut venu, le katakhanès dit au berger : — Compère, ce que tu as vu, il ne faut point en parler ; car, si tu le fais, mes vingt ongles se fixeront dans ta figure et dans celles de tes enfants. — Malgré cela, le berger ne perdit point de temps ; il alla sur-le-champ tout déclarer à des prêtres et à d’autres personnes ; et on se rendit au tombeau, dans lequel on trouva le corps du katakhanès précisément dans l’état où il était quand on l’avait enterré : tout le monde fut convaincu que c’était lui qui était cause des maux qui pesaient sur le pays. On rassembla une grande quantité de bois que l’on jeta dans la tombe, et on brûla le cadavre. Le berger n’était pas présent ; mais, quand le katakhanès fut à moitié consumé, il arriva pour voir la fin de la cérémonie, et alors le vampire lança un crachat : c’était une goutte de sang qui tomba sur le pied du berger ; ce pied se dessécha comme s’il eût été consumé par le feu. Quand on vit cela, on fouilla avec soin dans les cendres ; on y trouva encore l’ongle du petit doigt du katakhanès ; et on le réduisit en poussière. » — Telle est la terrible histoire du vampire de Kalikrati. C’est sans doute au goût qu’on suppose à ces êtres malfaisants pour le foie humain qu’il faut attribuer cette exclamation que Tavernier attribue à une femme candiote : — J’aimerais mieux manger le foie de mon enfant ! (Voyez : Vampires).

1.

M. Pashley, Revue britannique, mars 1837.