Causerie

  • J.
  • Encyclopédie moderne

Causerie. Le monde entend par causerie tout entretien familier où les idées s’échangent avec un agréable et piquant abandon, que l’esprit aiguise, que la sensibilité anime, mais d’où la contrainte et l’affectation sont bannies ; qui peut aborder tous les sujets, mais à la condition de passer vite et légèrement sur tous, et de ne jamais disserter sur aucun. Tous les autres peuples de l’Europe sonr d’accord avec nous, quant à la supériorité, disons mieux, à la spécialité de notre pays en fait de causerie. C’est une preuve de plus de l’état avancé de notre civilisation ; car sans des mœurs éminemment sociales, sans une habitude particulière d’élégance, sans un langage parfaitement souple, cette aptitude ne se fût pas développée. L’Anglais, méthodique ; l’Allemand, pesant ou rêveur ; l’Italien, tantôt trop vif, tantôt nonchalant ; l’Espaghcil, trop prompte se monter au ton de l’emphase, ne sauraient nous disputer cet avantage. Eux-mêmes conviennent que les Français sont le peuple de la terre qui cause le mieux.

La causerie est une chose moderne dans l’histoire de nos mœurs. Au moyen âge, la rudesse de la langue, mélange irrégulier et confus de plusieurs idiomes, l’extrême simplicité des mœurs, s’opposaient à son développement. Sans doute, dans les châteaux, on devisait au coin du foyer. Sans doute un entretien naïf s’engageait entre les dames et les chevaliers à la suite du récit d’un croisé sur la Palestine, ou de la légende contée par un clerc ; mais ce m’était pas là la causerie : il y manquait la variété, la délicatesse ; il y manquait l’esprit, chose toute moderne. Mais lorsqu’au commencement du dix-septième siècle, la langue s’épura, se polit, s’assouplit, par les travaux de Malherbe et de Balzac, dont le succès avait été préparé par le génie de Rabelais et de Montaigne, lorsque les mœurs, dégagées des restes de la barbarie du seizième siecle, prirent une élégance dont la langue n’était que l’image, alors la société comprit le plaisir que l’esprit peut trouver dans l’usage rapide, familier, délicat, que la causerie fait de la parole pour présenter toutes les idées et tons les sentiments avec une vivacité ingénue et une douce gaïeté. Mais d’abord, comme il arrive pour toute nouveauté, on alla jusqu’à l’excès : éprise du charme de la causerie, la société en dépassa les limites. On apporta tant de soin dans les salons à parler avec élégance, le goût de la délicatesse devint si fort, que l’affectation froide, les calculs du bel esprit, la roideur empesée du purisme, régnèrent dans ces cercles d’élite, nés du perfectionnement des mœurs. Ce fut le temps de l’hôtel de Rambouiliet, ce fut le temps des précieuses et des éclatants succès de Chapelain et de Voiture. Bientôt, le naturel ayant reprisses droits, et le goût de la délicatesse étant resté, on vit naître à la cour du grand roi, et dans les principaux sa- . lons de l’époque, ce mélange unique de grâce et de familiarité, de négligence et de saillie, de gaieté et de sensibilité, de bonhomie et de finesse, qui est la véritable, la parfaite causerie. Parmi les cercles du temps qui offraient ce caractère, il faut citer les salons de madame de la Fayette et du duc de la Rochefoucauld. A la cour, madame de Montespan, madame de Thianges, leur frère, M. de Vivonne, portèrent le genre à une perfection qne l’esprit des Mortemart put seul atteindre, Une autre femme de ce temps a écrit comme on causait alors : c’est madame de Sévigné.