Air comprimé

  • Encyclopédie de famille

Air comprimé. Depuis quelque temps l’air comprimé a été employé à de nombreux usages. MM. Pravaz et Tessié du Motey en ont composé des bains dont ils se servent contre les douleurs rhumatismales, les gonflements et les névralgies. M. E. Guillaumet a tiré parti de l’air condensé pour établir une machine de submersion qui permet de séjourner sous les eaux, au fond de la mer, soit pour la pêche des perles et du corail, son pour des opérations de sauvetage, pour visiter et radouber des navires, ou pour porter secours à des incendiés. En 1845, M. Triger, ingénieur civil au Mans, a eu l’idée d’appliquer l’emploi de l’air comprimé au travail des mines. Pour traverser un terrain houiller situé près de Doué ( Maine-et-Loire), et en communication avec la Loire il fit enfoncer dans les sables qu’il fallait traverser, un tube de fer d’un mètre et demi de diamètre environ. Les sables enlevés, il fit refouler l’air au moyen de deux pompes mues par une machiné à vapeur, cet air comprimé chassa l’eau, et le fond du puits se trouva bientôt parfaitement étanche. Pour introduire les ouvriers qui devaient travailler dans ce puits, on se servit d’un sas à air, c’est-à-dire d’une espèce de tour assez analogue à celui qui servait autrefois à faire passer aux prisonniers condamnés à un secret absolu leur nourriture journalière. Grâce à ce procédé ingénieux, l’exploitation du terrain houiller des bords ae la Loire n’offrit plus de difficultés sérieuses. Aux mines de Chalonnes-sur-Loire, M. Triger put creuser un puits à travers une alluvion mouvante de vingt mètres d’épaisseur et sur les rives mêmes du fleuve. En dix jours, malgré des crues considérables, il traversa ces obstacles, et arriva au grès placé au-dessous.

La pression nécessaire pour obtenir le refoulement complet de l’eau dans les puits de M. Triger est de trois à quatre atmosphères. Cette pression détermine quelques phénomènes physiques et physiologiques assez intéressants. Dans l’air ainsi comprimé, les sons perdent une partie de leur intensité. Un violon que l’on fait résonner n’a plus que la moitié de sa sonorité ordinaire. La combustion est accélérée d’une manière très remarquable. Une chandelle ordinaire, à mèche de coton, dure à peine un quart d’heure, et dégage une fumée insupportable. On a dû employer dans les travaux des chandelles à mèches en fil, qui ont brûlé plus lentement et donné moins de fumée. La compression de l’air dans le tube détermine, comme on devait s’y attendre, une élévation très marquée de température. Il se charge, par conséquent, d’une certaine quantité de vapeur d’eau. Aussi, lorsqu’on ramène le sas à air de l’intérieur à l’extérieur, il y a toujours, par suite de l’expansion subite de l’air, production d’un brouillard épais et d’un froid très marqué, qui affecte très péniblement les ouvriers. Ceux-ci, en entrant dans le tube, éprouvent toujours, dès les premiers coups de piston, une douleur assez vive dans les oreilles. Cette douleur se dissipe au bout d’un temps variable pour les divers individus, aussitôt que 1 équilibre s’est établi entre l’air qui environne l’ouvrier et celui que renferme l’oreille interne. Une circonstance bien curieuse, c’est que cette douleur est intolérable chez les hommes qui se sont livrés à quelque excès de boisson, lors même que l’ivresse serait dissipée depuis plusieurs heures. L’air condensé est plus difficile à mettre en vibration ; aussi est-il impossible aux ouvriers de siffler selon leur habitude, en travaillant dans cette atmosphère factice. Dans le courant de son exploitation. M. Triger a dû employer la mine pour faire sauter des roches dures. On avait craint d’abord que l’explosion produite dans une atmosphère condensée fût plus terrible qu’à l’air et causât de graves accidents. Rien dans la théorie ne justifiait ces terreurs, et la pratique a démontré qu’elles étaient réellement imaginaires. À la pression de trois atmosphères, tout s’est passé comme en plein air, et l’explosion a fait à peine vibrer légèrement le tube métallique qui sert de revêtement au puits. Un phénomène assez singulier s’est produit au milieu de l’air comprimé : plusieurs sourds, qui s’étaient introduits dans la chambre à air, furent très étonnés d’entendre distinctement, et ce résultat persistait quelque temps après leur sortie des appareils. Des ouvriers sourds qui persistèrent dans le travail restèrent même guéris après l’achèvement des travaux.

M. Triger proposa d’appliquer l’air comprimé au sauvetage des bâtiments. Le gouvernement fit faire au Havre, sous la direction d’un officier de marine, un essai qui ne réussit pas ; mais M. Triger assurait pourtant que les expériences auxquelles il s’était livré avec l’aide de ses mineurs avaient été couronnées de succès. Il affirmait que les voies d’eau les plus considérables n’offraient aucun péril pour un navire muni de ses appareils manœuvres par quelques hommes exercés. Il prétendait enfin qu’on pouvait rendre ainsi les bâtiments insubmersibles.

Bientôt des bateaux furent construits sur la même donnée, dans le but d’atteindre dans la profondeur des eaux, et d’arriver au fond d’une rivière, de la Seine, par exemple, dans un appareil complètement sec. Au milieu du bateau se trouve un puits fermé en dessus en forme de tubes parfaitement ajustes s’emboîtant les uns dans les autres comme les tubes d’une lunette d’approche : on les fait descendre jusqu’à l’endroit désiré ; une machine à vapeur y refoule de l’air, et l’eau se retire par dessous. Un ouvrier exercé peut descendre dans ce puits et pratiquer les opérations voulues. C’est ainsi qu’on a pu extraire des roches sous l’eau, y pratiquer des mines que l’on fait éclater ensuite, etc.

M. Triger avait encore proposé de se servir de l’air comprimé pour établir des piles de pont sans faire de barrages préalables. Les ingénieurs anglais appliquèrent les premiers ce système à la fondation des piles du pont de Rochester. Tout avait été disposé pour l’emploi du procédé du docteur Pott, qui consiste à faire le vide dans les pilots cylindriques en fonte qu’on veut enfoncer dans le sol pour les remplir ensuite, ce qui leur permet d’entrer promptement dans les terrains mouvants ; mais on reconnut dès l’origine que l’on aurait à traverser les débris d’un ancien pont composé de pierres et de poutres en bois, et l’ingénieur Hugues, qui conduisait les travaux sous la direction de M. Cubitt, se rappelant les bons résultats obtenus par MM. Triger, Cavé et Mongel par l’emploi de l’air comprimé et de la cloche à plongeur, eut l’idée de donner à chaque pilot le caractère d’un cloche à plongeur, en substituant au vide l’air comprimé. Des pompes comprimaient l’air dans le pilot, et les ouvriers pouvaient aisément enlever les matériaux qui gênaient ou établir une forte maçonnerie dans l’intérieur des cylindres en tonte des pilots.

En France on s’est servi du même procédé au pont de Lyon pour relier le chemin de fer de Paris à Lyon à celui de la Méditerranée, aux ponts de Moulins sur l’Allier, etc. Eu Hongrie ce système a été mis en pratique au pont de Szegedin sur la Theiss. Mais le plus beau travail en ce genre est sans contredit celui du pont sur le Rhin, entre Strasbourg et Kehl, pour relier la ligne du chemin de fer français avec le chemin de fer badois. Dans ce travail, on substitua aux tubes en fonte de petit diamètre employés antérieurement, d’immenses chambres en tôle permettant de descendre la pile d’une seule pièce.

Dans la construction du pont d’Argenteuil, sur la Seine, pour le chemin de fer de Paris à Dieppe, les procédés employés jusqu’alors ont été modifiés. Il ne s’agissait pas là d’une large fondation comme au pont de Kehl, puisque deux tubes pilots à chemise en fonte suffisaient pour chaque pile ; mais en revenant à l’ancien système, on a eu ridée de faire l’application du béton à l’air libre. Les anneaux des tubes furent remplis de béton au-dessus de l’eau en laissant un vide au milieu, et s’enfoncèrent dans l’eau jusqu’au fond ; alors l’air comprimé chassa 1 eau de la cheminée du milieu, et par un travail à la base ou fit entrer les pilots jusqu’au terrain solide. On n’eut plus ensuite qu’à remplir de béton la chambre de travail et la cheminée. Ce système procure une plus grande facilité pour descendre chaque tube et le diriger verticalement, en raison de la position du centre de gravité de la masse qui se trouve reporté vers le point le plus bas. Par ce moyen, on est parvenu, sans déviation sensible et sans accident, à opérer la descente de huit tubes jusqu’à des profondeurs atteignant parfois 16 et 20 mètres au-dessous du niveau de la Seine, à travers un sol composé de sable, d’argile, de rognons et de pierres d’un volume souvent considérable.

M. Triger a employé l’air comprimé comme force motrice dans les mines de Maine-et-Loire. Profitant d’une machine à vapeur établie depuis longtemps pour le service de la mine, il fit placer dans l’intérieur de la mine une machine plus faible construite exactement comme pour employer de la vapeur, mais qu’il fit marcher au moyen d’air comprimé produit par la première machine. Cette machine à air comprimé mettait en mouvement, à l’aide d’un tambour et de câbles en fer, des wagons de 6 hectolitres sur un chemin de fer établi dans toute la longueur du puits incliné. « C’est au moyen de cet appareil, écrivait-il à l’Académie des Sciences, qu’outre un aérage parfait pour tous mes travaux souterrains, j’obtiens par un seul puits, avec facilité et économie, une extraction de 1,000 à 1,100 hectolitres de charbon par vingt-quatre heures. »

En Angleterre, M. Parsey a voulu appliquer l’air comprimé aux locomotives, bans son système, l’air comprimé est introduit, aux stations, dans des récipients qui le laissent échapper peu à peu, pendant que la force de pression a laquelle il est soumis donne le mouvement aux roues de la locomotive. Un régulateur ne laisse passer que la quantité d’air qu’il faut pour donner au convoi la vitesse voulue, et maintenir toujours uniforme la marche du train.

L’air comprimé pourrait aussi bien que le vide servir à la marche des convois sur les chemins de fer atmosphériques. On peut également employer l’un ou l’autre de ces moyens pour la transmission des dépêches à travers un tube, soit d’une ville à une autre, soit d’une partie de la ville à un autre quartier. L’air comprimé enfin peut pousser un convoi de voyageurs, aussi bien que les dépêches dans les chemins de fer pneumatiques, ainsi qu’on l’a essayé à Londres.

M. Letellier, avec le concours de l’air comprimé et d’une vis d’Archimède, a composé une pompe beaucoup plus serviable et d’un jeu infiniment plus doux que les pompes ordinaires. Enfin M. C.-W. Harrison a imaginé un moteur pneumatique qui réalise l’application de l’air comprimé substitué à la vapeur pour faire mouvoir les métiers à tisser.