Adoption

  • Législation
  • H. Bordier
  • Encyclopédie moderne

Adoption. L’adoption était en usage chez la plupart des peuples de l’antiquité ; mais les Romains seuls méritent que nous examinions le caractère que cette institution eut chez eux.

À Rome, l’adoption était l’acte qui faisait passer une personne sous la puissance paternelle d’une autre. L’esprit aristocratique des premiers Romains et leur désir de perpétuer les familles patriciennes, la crainte superstitieuse qu’ils avaient de laisser les hérédités vacantes, peut-être encore d’autres motifs avaient de bonne heure rendu chez eux l’adoption nécessaire. Mais avec l’organisation si forte, si dure, qu’ils avaient donnée à la famille, ils ne pouvaient admettre qu’un tel changement s’opérât dans l’état d’un citoyen, qu’il fût un jour, de libre qu’il se trouvait la veille, soumis à l’autorité paternelle, c’est-à-dire déchu de l’exercice de la plupart de ses droits civils, sans que la cité entière en fût publiquement avertie. L’adoption se faisait donc solennellement, dans l’assemblée du peuple, et elle s’appelait alors adrogation, parce que, nous dit Gaïus : Et is gui adoptat rogatur, id est interrogatur, an velit eum quem adoptaturus sit justum sibi filium esse ; et is gui adoptatur rogatur, an id fieri patiatur ; et populus rogatur an id fieri jubeat. Cela revient à dire que l’adrogation était ainsi nommée parce qu’elle était une véritable rogatio, c’est-à-dire une proposition de loi.

Outre l’inconvénient qu’il avait d’obliger à recourir aux comices, ce mode d’adoption était bien imparfait, puisqu’il n’était applicable qu’aux personnes libres de toute puissance paternelle. Celui qui dépendait d’un père de famille ne pouvait être adrogé, car son père naturel y eût-il consenti, nulle rogatio ne pouvait dissoudre le lien sacré de la patria potestas. On imagina, pour éluder cette double difficulté, un moyen qui passa en coutume et fut consacré par le droit. Le père de famille, à Rome, pouvait vendre ses enfants ; il conserva cette faculté jusque sous les empereurs. Si le fils, tombé de cette manière dans un état voisin de l’esclavage, recouvrait sa liberté, c’était pour rentrer aussitôt sous le joug paternel, et la loi des XII Tables avait prononcé comme adoucissement à ce principe, qu’après avoir été trois fois ainsi vendu, le fils était enfin dégagé de l’autorité de son père. Ce fut par ce détour qu’on arriva à l’adoption d’un fils de famille sans l’intervention de l’assemblée du peuple. Le père, qui consentait à laisser adopter son enfant, commençait par épuiser son autorité paternelle ; alors celui qui voulait devenir le père adoptif, simulant ce que nous appellerions aujourd’hui une contestation d’état, amenait devant le tribunal du préteur le père avec son enfant et feignait de revendiquer ce dernier, de le réclamer comme étant né de lui ; le père véritable, jouant le rôle d’un défendeur résigné à perdre son procès, gardait le silence ou reconnaissait la réclamation comme bien fondée, et aussitôt le magistrat prononçait sa sentence en faveur du demandeur. La paternité et les droits qui en résultaient à l’égard de l’enfant étaient ainsi judiciairement transportés au père adoptif.

Ce dernier mode d’adoption dut rapidement devenir le plus usité ; l’adrogation n’était plus même possible sous les empereurs, puisqu’il n’y avait plus d’assemblées du peuple. Elle se réalisait alors par la permission que le prince donnait de la faire, principali rescripto. Cependant il est remarquable que Gaïus, contemporain de Marc-Aurèle, nous parle de l’adrogation, dans le passage dont nous avons cité une partie, comme si elle se fût faite encore de son temps per populum. Quant à l’adoption opérée au moyen d’un procès fictif, elle se conserva jusqu’à Justinien, qui ne fit probablement que sanctionner un usage établi de longue date, en déclarant dans ses lois que l’adoption serait parfaite par la seule déclaration de la volonté des parties contractantes, manifestée devant le juge et inscrite dans les actes du tribunal.

Telles étaient les formes, très curieuses comme on voit, de l’adoption chez les Romains. Il faut ajouter que cet acte étant destiné à faire considérer aux yeux du public comme fils d’une personne celui qui ne l’était réellement pas, il était nécessaire que la fiction fût du moins vraisemblable, et c’était un point de coutume bien établi que l’adoptant eût dix-huit ans, c’est-à-dire l’âge d’une pleine puberté, de plus que celui qu’il adoptait. Remarquons encore que les femmes ne pouvaient adopter, parce que le but de l’adoption était de conférer à une personne sur une autre la puissance paternelle et que cette puissance ne pouvait, en aucune manière, appartenir à une femme.

Quant aux effets de l’adoption (que nous ne pouvons décrire dans tous leurs détails), le premier et le principal était d’assimiler l’adopté à un fils (ou à un descendant quelconque) de l’adoptant, et de lui assurer par conséquent les droits héréditaires attachés à ce titre ; en même temps tous les biens qu’il pouvait avoir (toutes les personnes qu’il pouvait lui-même tenir auparavant en sa puissance, si c’était un adrogé : sa femme, ses enfants, ses esclaves), tout ce qu’il possédait passait au pouvoir de l’adoptant, dont il allait grossir la famille et la fortune.

Dans le transport à l’adrogeant de la fortune de l’adrogé, se présentait un des résultats les plus singuliers de la rigueur des déductions du droit romain.

Le fils de famille pouvait acquérir des créances sans le consentement de son père, mais il ne pouvait en principe contracter de dettes. D’où la conséquence que, l’adrogeant prenant les créances de celui qu’il adrogeait, mais pour ses dettes se gardant de les ratifier, et d’autre part, l’adrogé devenant fils de famille, c’est-à-dire incapable de s’engager, de répondre en justice en qualité de débiteur, ses créanciers se trouvaient sans recours. Il est possible que, malgré son iniquité, cette conclusion logique ait été suivie à la rigueur dans les premiers temps de Rome ; mais nous ne trouvons, à ce sujet, dans les jurisconsultes, que des textes où l’on montre que lorsqu’un tel fait arrivait, le magistrat annulait l’adrogation quant à ses effets à l’égard des créanciers de l’adrogé.

L’adopté, qu’il fût adrogé ou non, perdait par l’adoption tous ses droits héréditaires dans sa famille naturelle ; d’où résultait pour lui le danger que, s’il venait à être émancipé par son père adoptif, il perdait ses droits à l’héritage de celui-ci sans recouvrer ceux qu’il avait eus dans sa propre famille. Pour obvier à cet inconvénient, Justinien changea complètement la nature de l’institution elle-même ; il ordonna que l’adoption aurait seulement pour effet de conférer à l’adopté les droits héréditaires dans la famille de l’adoptant, mais qu’il n’en conserverait par moins ceux qu’il avait dans son ancienne famille, et resterait soumis à la puissance de son père naturel.

L’adoption n’existait pas dans notre ancienne jurisprudence : elle était tombée en désuétude dès les premières races de nos rois ; la grande importance que le mariage s’était acquise l’avait effacée. Ce fut seulement le 18 janvier 1792 que l’assemblée nationale décida que son comité de législation aurait à comprendre l’adoption dans le plan général de ses lois civiles. Plusieurs adoptions furent faites sous l’empire de ce décret, qui n’établissait cependant aucune règle. Plus tard, la loi du 25 germinal an XI déclara ces adoptions valables, pourvu qu’elles eussent été faites par acte authentique. Elle permettait à l’adopté, disposition remarquable, de renoncer à l’adoption dans les trois mois qui suivaient sa majorité ; et à l’adoptant de réduire l’adopté au tiers des droits de l’enfant légitime, par une déclaration faite dans l’intervalle des six mois à partir de la même époque.

Ce fut le code civil qui organisa chez nous l’adoption et en fit une imitation de la filiation naturelle, assez semblable à l’adoption romaine telle que l’avait réglée Justinien, seulement un peu plus favorable à l’adopté. Le code distingue trois sortes d’adoption : l’adoption ordinaire, rigoureusement soumise aux conditions de la loi ; l’adoption rémunératoire, dispensée par faveur de certaines conditions, et l’espèce particulière d’adoption appelée testamentaire.

L’adoptant doit être âgé de cinquante ans au moins, et avoir quinze ans de plus que l’adopté ; de plus, il faut qu’il n’ait ni enfants nl descendants légitimes. Sauf le cas où l’adoption est faite par deux époux, deux personnes ne peuvent adopter le même individu : la loi a craint qu’en accordant à cette filiation fictive les avantages d’une filiation légitime, on n’empêchât le mariage subséquent des père et mère d’un enfant naturel. Nul ne peut adopter qu’avec le consentement de son conjoint. L’adopté doit être majeur ou avoir, s’il est âgé de moins de vingt-cinq ans, l’autorisation de ses père et mère. S’il est âgé de plus de vingt-cinq ans, il est tenu de requérir leur conseil, condition plus sévère que la condition analogue exigée pour le mariage où, malgré la mère, le consentement du père suffit. Il faut enfin que, pendant six ans, l’adopté, étant mineur, ait reçu des soins de l’adoptant. Telles sont les conditions exigées pour l’adoption ordinaire.

L’adoption rémunératoire est une exception destinée à favoriser certaines personnes et à leur accorder des conditions plus faciles : celui qui a sauvé la vie à un autre de quelque manière que ce soit, par exemple dans un combat, ou en le retirant des flammes ou des flots, peut être adopté par lui, et la loi s’empresse d’accueillir ce témoignage d’une juste reconnaissance, en aplanissant toutes les difficultés et en se bornant à exiger que l’adoptant soit majeur et plus âgé que l’adopté.

L’adoption faite par testament n’est permise qu’en faveur d’un mineur dont l’adoptant a été pendant cinq ans le tuteur officieux. Dans cette espèce d’adoption le consentement de l’autre époux n’est plus nécessaire, parce que c’est une règle fondamentale que le testament doit être l’œuvre d’une seule volonté.

L’adoption se fait en la forme d’un contrat que les parties passent devant un juge de paix ; celui du domicile de l’adoptant. Une expédition de cet acte est remise dans les dix jours au procureur du roi près le tribunal de première instance, pour être soumise à l’homologation du tribunal. Les juges, réunis en la chambre du conseil, vérifient si toutes les conditions imposées par la loi ont été remplies et si la personne qui se propose d’adopter jouit d’une bonne réputation. Après avoir entendu le procureur du roi et sans aucune autre forme de procédure, le tribunal prononce, sans énoncer de motifs, en ces termes : Il y a lieu ou Il n’y a pas lieu à l’adoption. Dans le mois qui suit, le jugement est soumis à la cour royale qui le confirme ou le réforme, de la même manière, sans énonciation de motifs. Enfin tout arrêt de cour royale admettant une adoption est prononcé à l’audience, affiché, et inscrit dans le délai de trois mois, sous peine de nullité de l’adoption, sur les registres de l’état civil de la commune où l’adoptant est domicilié.

L’adoption confère à l’adopté et ajoute à son nom, le nom propre de l’adoptant ; elle opère une sorte d’affinité civile par suite de laquelle le mariage est prohibé entre l’adoptant, l’adopté et leurs parents ou alliés les plus rapprochés (Code civil, art. 348.) L’adopté acquiert sur la succession de l’adoptant, mais de lui seul, les mêmes droits qu’aurait un enfant légitime. Il n’en reste pas moins dans sa famille naturelle ; il y jouit des mêmes droits ; il y a les mêmes devoirs à remplir, ce qui n’empêche pas qu’entre lui et l’adoptant il n’y ait obligation de se fournir mutuellement des aliments.

Les lois anglaises ne renferment pas de dispositions relatives à l’adoption. Le code autrichien, sans rien prescrire sur l’âge de chacun des deux contractants, exige que l’adoptant ait dix-huit ans de plus que l’adopté et que ce dernier ait le consentement de son père. L’adopté conserve tous ses droits dans sa famille naturelle ; il reste noble malgré son entrée dans une famille roturière, et réciproquement, si un roturier est adopté par un noble, il n’en résulte pas qu’il soit anobli. L’acte d’adoption est soumis à l’approbation de l’autorité administrative de la province, et transcrit sur les registres du tribunal.

En Prusse, l’adoption ne produit aucun empêchement au mariage de l’adopté avec les parents de l’adoptant ; le mari peut adopter sans le consentement de sa femme, mais la loi refuse à celle-ci le même avantage ; elle ne s’oppose pas à ce que l’adoption soit révoquée avec le consentement des parties intéressées, et sous la sanction des tribunaux.

Les lois espagnoles consacrent les deux espèces d’adoption qui existaient à Rome, l’adoption proprement dite et l’adrogation ; l’adoption pour les fils de famille, et l’adrogation pour les enfants orphelins ou émancipés.

Les rapports qui existent entre l’adoption et la tutelle officieuse exigent que nous disions ici quelques mots de cette dernière institution.

La tutelle officieuse est un contrat de bienfaisance par lequel on s’oblige à nourrir et à élever gratuitement un mineur, à le mettre en état de gagner sa vie, et à se charger de l’administration gratuite de sa personne et de ses biens. On n’en trouve le modèle ni chez les anciens, ni dans les lois romaines, ni dans la législation d’aucun peuple de l’Europe ; les Français ont le mérite de cette création législative.

Il faut que celui qui se propose pour tuteur officieux ait plus de cinquante ans, qu’il n’ait ni enfants ni descendants légitimes, et que l’autre conjoint y consente : cette tutelle rend l’adoption plus facile, en ce qu’on peut adopter un mineur après cinq ans de tutelle officieuse.

Tel est l’ensemble de cette loi d’adoption, si morale, si philosophique, et si paternelle, qui, sans mutation de famille, sans incertitude sur le sort du contrat, sans détriment pour la population, a pour objet de consoler les époux dont le mariage a été stérile et d’appeler leur bienfaisance sur de jeunes enfants le plus souvent privés de famille et d’appui.

Malgré la sagesse de notre législation sur cette matière, les praticiens s’accordent à reconnaître que les adoptions sont rares en France.