Acides

  • Chimie
  • H. Dézé
  • Encyclopédie moderne

Acides. On comprend, sous cette dénomination générale, des corps, de composition diverse, caractérisés par les propriétés suivantes :

Saveur particulière, plus ou moins analogue à celle du vinaigre ;

Action sur les couleurs bleues végétales qu’ils font passer au rouge ;

Affinité pour les bases, avec lesquelles ils forment des combinaisons, où les propriétés des composants se neutralisent d’une manière plus ou moins complète ;

Rôle électro-négatif dans ces combinaisons.

Développons cette définition sur un exemple.

Qu’on prenne l’huile de vitriol : ce liquide possède à un haut degré la saveur acide ; il exerce une action énergique sur la teinture bleue de tournesol, qu’il décolore et rougit subitement. Ces propriétés annoncent un acide : l’huile de vitriol n’est autre chose en effet que l’acide sulfurique des chimistes.

D’ailleurs, si l’on ajoute une base, de la potasse, par exemple, à l’huile de vitriol, la dissolution perdra les caractères que nous venons de constater ; elle n’aura plus la saveur acide ; elle n’agira plus sur la teinture de tournesol. La potasse, en se combinant avec l’acide sulfurique, a neutralisé ses propriétés, et un nouveau corps, le sulfate de potasse, a pris naissance. L’huile de vitriol nous présente donc encore un des caractères que nous avons assignés aux acides.

Soumettons enfin cette dissolution, dans laquelle existe maintenant le sulfate de potasse, à l’action d’un courant électrique : le sel ne tardera pas à se décomposer ; au pôle positif, nous retrouverons l’acide sulfurique, au pôle négatif, la potasse. Cette expérience nous montre que l’acide sulfurique est électro-négatif dans le sulfate de potasse.

On conçoit maintenant le sens qu’il faut attacher à chaque terme de la définition que nous avons donnée. L’huile de vitriol nous présente l’exemple d’un acide parfait, d’un corps possédant, à un haut degré, tous les caractères d’un acide. Mais tous ces caractères n’ont pas, pour le chimiste, la même importance et ne sont pas non plus également faciles à constater. Ainsi, que le corps qu’il s’agit de classer soit insoluble, on ne peut plus en reconnaître la saveur ; il est impossible aussi de l’éprouver par les réactifs colorés : mais si l’on sait que le corps peut entrer en combinaison avec les bases, si l’on s’assure qu’il est électro-négatif dans les sels formés, ces notions suffiront pour décider que le corps est acide.

Le caractère essentiel d’un acide consiste donc dans l’affinité pour les bases. Cette propriété se manifeste par la facilité plus ou moins grande de la combinaison entre l’acide et les bases, par la stabilité plus ou moins grande des sels qui en résultent, etc. Sous ce rapport, les divers acides offrent de notables différences, et de là viennent les qualifications d’acides forts, d’acides faibles, dont on se sert souvent en chimie.

Ces définitions posées, nous allons donner quelques notions générales sur la composition des acides. Comme nous l’avons déjà dit, cette composition n’est pas uniforme : les différences qu’on observe à cet égard correspondent à d’autres plus profondes, que nous étudierons ailleurs et qui ont conduit les chimistes à partager les acides en deux grandes classes renfermant, l’une les acides inorganiques, l’autre les acides organiques.

Acides inorganiques. En se combinant avec les corps simples, l’oxygène produit une classe nombreuse de composés qu’on désigne sous le nom général d’oxydes. Les propriétés des oxydes varient 1° suivant la nature du corps simple, ou radical ; 2° suivant les diverses proportions dans lesquelles l’oxygène peut s’unir avec ce radical. Beaucoup de ces composés appartiennent à la classe des acides, et ils en forment même la partie la plus nombreuse et la plus intéressante.

Lavoisier, qui avait reconnu la propriété dont jouit l’oxygène de former des acides avec le soufre, le phosphore, etc., considérait l’oxygène comme le seul principe générateur des acides : c’est pour cela qu’il l’appela oxygène, et la nomenclature chimique, fondée sur cette idée, conserve encore, dans les dénominations des acides, ce caractère exclusif attribué à l’oxygène. Les progrès de la science ont fait subir quelques modifications à la doctrine de Lavoisier. Un de ses contemporains, Berthollet, avait déjà montré dans un composé de chlore et d’hydrogène, un corps doué de propriétés éminemment acides, et qui pourtant ne contenait pas d’oxygène. À côté de l’acide chlorhydrique vinrent se placer plus tard les acides sulfhydrique, fluorhydrique, iodhydrique, etc. ; ces divers acides, formés par un métalloïde avec l’hydrogène, constituèrent alors la classe des hydracides, tandis que les acides oxygénés recevaient le nom d’oxacides.

De nouvelles recherches ont ajouté une nouvelle classe d’acides aux deux précédentes. On a reconnu en effet dans certains composés du soufre, du chlore, etc., avec quelques corps simples, les propriétés essentielles des acides. En voyant, par exemple, le sulfure d’arsenic former avec le sulfure de potassium un composé qui a tous les caractères d’un sel, comment ne pas admettre dans ces deux sulfures les propriétés respectives d’un acide et d’une base ? Comment méconnaître l’analogie entre ces deux sulfures et deux oxydes, l’un acide l’autre basique ? Ce mode de combinaison, dont nous pourrions multiplier les exemples, montre que la plupart des métalloïdes peuvent jouer le même rôle que l’oxygène ; que ces corps, combinés avec certains corps simples, produisent de véritables acides.

Enfin, dans quelques cas peu nombreux, les acides contiennent trois corps simples ; tels sont les acides chloroxi-carbonique, nitro-sulfurique, etc. ; mais leur constitution ne diffère pas, pour cela, de celle des acides à deux éléments, et ils se comportent en général, dans les réactions, de la même manière que les précédents. Aussi admet-on dans ces acides l’existence d’un radical composé, c’est-à-dire d’un corps composé jouant le rôle d’un corps simple. Ainsi M. Dumas regarde l’oxyde de carbone comme le radical de l’acide chloroxi-carbonique, et il représente alors la composition de cet acide par CO + Cl, CO étant, l’oxyde de carbone. Des idées analogues ont été émises sur l’acide nitro-sulfurique. On trouve encore une application de cette théorie dans la conception de Dulong sur les acides aqueux.

Il y a très peu d’acides forts que l’on parvienne à isoler. La plupart de ces acides peuvent cependant exister à l’état libre ; mais nous ne connaissons pas les moyens de les dégager de toute combinaison. Presque tous contiennent une certaine quantité d’eau, dont on ne peut les priver qu’en les combinant avec un autre corps. La présence de l’eau ne nuit d’ailleurs en rien à l’action des acides : au contraire, elle favorise les combinaisons, car les corps absolument exempts d’eau agissent difficilement les uns sur les autres à la température ordinaire. Les acides combinés avec l’eau, prennent le nom d’acides aqueux.

En partant de certaines considérations, sur la formation, des sels, Dulong a émis, sur la constitution des acides aqueux, une hypothèse que nous ferons connaître ici, et dont nous développerons ailleurs les conséquences. Dulong assimile tous les acides aqueux aux hydracides, en attribuant à l’acide la quantité d’oxygène contenue dans l’eau : le radical de l’acide et l’oxygène ; forment alors le radical composé d’un hydracide. Ainsi, suivant cette hypothèse, l’acide sulfurique aqueux SO3, HO serait un hydracide composé d’hydrogène H et d’un radical SO. Il en serait de même de tous les autres acides oxygénés : à l’état anhydre, ils ne seraient pas susceptibles de se combiner avec les bases, et ne le deviendraient que par le concours, de l’eau qui les convertirait en hydracides.

Acides organiques. Les acides organiques offrent, en général, une composition plus complexe que celle des acides minéraux : ils renferment deux, trois ou quatre corps simples qui sont toujours l’oxygène, le carbone, l’hydrogène et l’azote. La combinaison de ces éléments y paraît d’ailleurs, comme dans toutes les substances organiques, assujettie à des lois spéciales, en sorte que la constitution des composés qui en résultent diffère essentiellement de celle des composés analogues de nature inorganique.

Dans l’état actuel de la science, il est impossible de présenter des considérations générales sur les propriétés des acides organiques : tout ce qu’on sait d’essentiel à cet égard se borne aux notions que nous avons données plus haut, et que nous développerons ailleurs.

La plupart des acides organiques renferment de l’eau, que les procédés ordinaires de dessiccation ne peuvent en séparer. Pour obtenir ces acides à l’état sec, il faut les saturer par l’oxyde de plomb ou l’oxyde d’argent, avec lesquels ils forment, en général, des sels anhydres.

Nous exposerons, dans un autre article, les règles de la nomenclature des acides.

Les acides sont les agents les plus énergiques qu’on puisse employer pour changer la nature des corps : aussi les arts chimiques en font-ils un usage continuel. Dans toutes les opérations où on les emploie, on a besoin de connaître leur degré de concentration, et on se sert, pour cela, de l’aréomètre. Mais les indications de cet instrument pourraient conduire souvent à des résultats erronés, car l’aréomètre ne donne que la densité du liquide, et cette densité n’est pas toujours proportionnelle à la quantité absolue d’acide. Il faut donc avoir recours à une autre méthode : celle qu’on suit généralement consiste à saturer l’acide avec une dissolution titrée d’alcali ; de la quantité d’alcali employée, il est facile de déduire la quantité d’acide réel.

Ce procédé est analogue à celui qu’on emploie pour estimer la richesse des alcalis.