Abondance

  • Économie politique
  • J.-P. Pagès
  • Encyclopédie moderne

Abondance. Il y a abondance dans un pays lorsque ses produits agricoles ou industriels dépassent ses besoins. Ce n’est pas le nécessaire, c’est le superflu qui constitue l’abondance. Elle provient de trois sources, l’agriculture, industrielle commerce.

Dans plusieurs utopies l’on a cherché lesquels devaient plutôt parvenir à l’abondance, des peuples chasseurs, pasteurs, ou agricoles. On n’a point vu, 1° que les chasseurs dévastant les forêts ou les rivières qui les nourrissent, sans avoir la puissance de les repeupler, devaient être incessamment dans la nécessité de périr de faim ou de se changer en peuples pasteurs : la vieille Amérique est la preuve de cette observation ; 2° que les pasteurs, dans l’impossibilité de nourrir toujours leurs bestiaux dans les mêmes pâturages, devaient vivre en nomades comme les Tartares, et étaient forcés comme eux, par la stérilité des prairies et l’excès de population, de se changer en peuples agriculteurs ou de se répandre dans les pays nourris par les produits agricoles ; 3° que les États exclusivement consacrés à l’agriculture ne pouvaient même arriver à l’abondance. La Chine, qui n’exporte jamais et conserve toujours l’excédant de ses besoins, voit chaque année, malgré sa prévoyance, quelques provinces en proie à la famine, tandis que dans les autres un peuple nu et dans la plus dégoûtante misère ne peut assouvir que sa faim.

Cette dernière observation suffit pour démontrer l’erreur des économistes, qui voyaient l’abondance partout où ils voyaient un superflu dans les produits agricoles. Les gouvernements d’Europe ont imaginé, depuis Colbert, qu’il y avait abondance chez tous les peuples qui vendent à l’étranger ; mais les exportations prouvent seulement qu’il y a un plus grand bénéfice dans les marchés extérieurs : elles peuvent provenir non d’une supériorité de richesses, mais de l’inégalité de misère.

C’est le concours de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, qui peut seul produire l’abondance. Nous examinerons au mot Règlements comment ces trois sources de la richesse publique peuvent être diminuées ou taries ; nous verrons au mot Liberté comment on peut les vivifier elles accroître.

En Europe, les gouvernements sont aussi embarrassés de l’abondance que de la disette. Pour remédier à l’une et à l’autre, Napoléon avait imaginé les greniers d’abondance. C’était transporter la Chine à Paris. Le gouvernement y trouvait deux bénéfices : il achetait à bon marché dans les années fertiles pour vendre cher dans les temps malheureux, et suivait ainsi l’exemple des accapareurs ; d’un autre côté ; en restant le maître de pourvoir aux premiers besoins du peuple, il prévenait ces déplorables rébellions inséparables des jours de disette, et que quelquefois une autorité trop impitoyable a punies de peines cruelles. Il est encore un moyen usité par le pouvoir, mais qui est toujours arbitraire : dans l’abondance, il favorise outre mesure les exportations ; durant la disette, il donne des primes d’encouragement aux importations. Cette sagesse est elle-même imprévoyante : les exportations sont si multipliées, qu’une année d’abondance se termine ordinairement par la disette ; et les importations sont si lentes, parce que le commerce va acheter loin du pays qui manque pour avoir meilleur marché, que les denrées arrivent toujours trop tard et en trop petite quantité.

Une science nouvelle, la statistique, a fait aujourd’hui assez de progrès en France pour qu’un ministre qui voudra sortir de l’ornière de la routine puisse facilement faire en sorte que ce beau pays ne manque jamais du nécessaire, et que le superflu devienne une source inépuisable de richesse. Pour y parvenir, il faut traiter la disette comme si on était très loin de l’abondance, et l’abondance comme si on était à la veille de la disette.