V

  • Grammaire
  • Léon Vaïsse
  • Encyclopédie moderne

V. Vingt-deuxième caractère et dix-septième consonne de notre alphabet, le V porta autrefois, ainsi que nous l’avons déjà fût dans l’article de la lettre U, le nom d’U consonne. Celui qu’il porte aujourd’hui , soit qu’on le prononce ou ve, fait entendre en l’accompagnant d’une voyelle auxiliaire, l’articulation dont ce caractère est le représentant en français, comme dans les autres langues néo-latines et en anglais. C’est le son par lequel commencent chez nous les mots va, vent, vie, vin, veau, vont, vue, etc., et par lequel se terminent have, Ève, louve, cuve, rive, etc.

Cette lettre est une de celles qui, selon Tacite, manquaient au premier alphabet des Latins ; cependant elle se rencontre sur les plus antiques monuments épigraphiques romains, tels que le tombeau des Scipions, où elle représente à la fois le V et l’U, Les archéologues la retrouvent même dans les inscriptions des nations primitives de l’Italie, les Étrusques, les Osques, les Samnites ; mais sur ces monuments le V et le F (l’ancien digamma des Éoliens) se trouvent sans cesse confondus. D’après Suétone, l’empereur Claude voulut faire adopter à Rome, pour rendre cette articulation, la forme du digamma retourné et renversé, idée qui, selon Annæus Cornutus, appartenait à Varron.

Selon toute probabilité, la forme définitive du V fut empruntée à l’écriture des Grecs, et la figure de l’upsilon (Υ) lui servit de modèle ; car nous voyons sur beaucoup de monuments, tant de l’Attique et du Péloponnèse que de la grande Grèce, cette dernière lettre représentée sans sa barre ou queue verticale, et réduite par conséquent aux deux traits obliques, réunis à leur partie inférieure, qui forment la lettre sujet de cet article.

Le rapport tout matériel que nous remarquons entre le V latin et l’upsilon grec ne doit pas nous faire perdre de vue le rapport bien plus essentiel qui rattache la lettre latine, ainsi que l’F, son analogue, au digamma éolique, et, par l’intermédiaire de celui-ci, au vav sémitique. Comme le V chez les Latins, le vav fut chez les Hébreux, et sans doute aussi chez les Phéniciens, employé et comme voyelle et comme consonne. En outre, dans cette seconde fonction il répondait à la fois, comme le fait encore chez les Arabes la lettre de même nom, à la dento-labiale V et à la labiale pure W.

Nous qualifions le V de dento-labiale parce que pour le prononcer on doit rapprocher les incisives supérieures de la lèvre inférieure. Ce rapprochement va même jusqu’au contact, et c’est en passant dans les étroits interstices que laissent les dents entre elles et aussi entre elles et la lèvre, sur laquelle appuie leur tranchant, que l’air chassé par l’effort des poumons fait entendre l’articulation soufflante dont nous étudions ici le mécanisme. Cette articulation peut, comme toutes les autres, être ou non accompagnée de faction des cordes vocales du larynx ; dans te premier cas nous la représentous par le V, dans le second nous lui donnons pour signe représentatif l’F.

Le phi (Φ) de l’alphabet grec, qui répond par sa place à notre V, répond par sa valeur à notre F.

Malgré l’analogie que nous avons constatée entre notre V et le vav des Hébreux, une autre lettre de l’alphabet hébraïque avait également, selon lus rabbins, le son de V. Cette lettre était le beth, qui, prétendent-ils, devait chez leurs ancêtres, se prononcer v toutes les fois qu’il n’était pas marqué du daguesch, point qui, en indiquant l’absence de l’aspiration, laissait au beth la valeur de la labiale explosive B. Pareillement, le bêta de nos grammaires grecques se prononce chez les Grecs modernes vita, et les Russes ont donné à leur B la valeur du V, créant en même temps pour représenter le son b une modification particulière du caractère B. On trouve même chez les Latins quelques traces de la confusion du B et du V : Danubius se trouve quelquefois écrit Danuvius ; belli, velli ; vixit, bixii.

Il n’est, du reste, pas rare d’entendre encore aujourd’hui certaines populations méridionales, telles que nos Gascons et leurs voisins les Espagnols, mettre le V à la place du B, et dire par exemple varon, vateau, pour baron, bateau.

Les Arméniens pour représenter notre V ont dans leur alphabet le choix entre deux lettres différentes ; savoir : la hioun, qui a le double caractère du vav, et le viev, qui est constamment consonne.

Nous avons vu le rapport étroit qui lie les lettres F et V. Ce rapport explique la permutation que nous opérons eu faisant œuf de ovum, neuf de novem, en prononçant neuf arbres comme si l’on écrivait neuv arbres, en formant le féminin de sauf, bref, actif, par sauve, brève, active, et en faisant nerveux de nerf, motiver de motif, neuvaine de neuf. La voyelle que dans ce cas l’on place après la consonne soufflante F a sur celle-ci une influencé analogue à celle qu’exercent sur la sifflante S les voyelles entre lesquelles elle peut être placée dans le corps d’un mot.

Le V des mots latins semble quelquefois représenter l’esprit doux du primitif grec, comme dans ovis (brebis), qui dérive de οίς. Chez nous le V latin s’est changé non seulement en F ou en B, mais même en la gutturale G. C’est ainsi que du latin Vascones se sont formés les noms de Basques et de Gascons.

En allemand l’articulation sonnante propre chez nous à la consonne placée en tête de cet article est représentée par le double V (W). Le V simple, qui y porte le nom de faou, représente, concurremment avec l’F, l’articulation sourde correspondante.

Sur les inscriptions ou les médailles latines le V est l’abréviation des mots Valerius, Valerianus, venerabilis, Victor, etc.

Ce caractère figure parmi les chiffres romains avec la valeur de 5, et il sert à repré«enter les nombres 4, 6, 7, 8, d’abord par l’addition d’un I à gauche, purs par celle d’un, de deux ou trois I à droite. Quand le V est surmonté d’un trait horizontal, le nombre est rendu mille fois plus grand. Quelques auteurs pensent que c’est comme représentant la moitié du caractère X, qui vaut 10, que le V a reçu la valeur de 5.

Les monnaies françaises marquées d’un V ont été frappées à Troyes.